
Le 30 septembre, le vol AF 066 d’un A380 d’Air France effectuant la liaison Paris-Los Angeles avec 520 occupants (496 passagers et 24 membres d’équipage) a été contraint d’opérer un atterrissage d’urgence au Canada.
L’avion qui avait décollé à 11h30 de Paris, a subi un grave dommage sur le réacteur 4, à l’extrémité droite de l’aile. Les pilotes ont alors décidé de se dérouter sur l’aéroport militaire de Goose Bay au Canada.
L’équipage s’est trouvé face une situation totalement soudaine. Il l’a parfaitement gérée comme le montrent les contacts radio avec la tour de contrôle de Goose Bay en approche, à l’atterrissage et lors du délicat roulage au sol escorté par un camion de pompiers.
La probabilité de cette avarie est un cas rarissime et je ne crois pas qu’il en existe un autre exemple. Il ne s’agissait pas seulement d’une perte de puissance d’un moteur, car il s’ajoutait la perte d’une masse et de la géométrie de l’avion. Cette situation est improbable et n’est pas enseignée au simulateur. Les dispositifs automatiques et la dextérité des pilotes ont permis de conserver la conduite du vol.
Bien entendu, une enquête aéronautique est ouverte pour l’analyse d’un tel « accident », afin d’éviter qu’il ne se reproduise. Selon le droit aérien international, c’est bien un accident, car, s’il n’y a pas de victime, il y a bien des dommages matériels considérables à la structure de l’appareil.
Comme l’événement s’est produit au-dessus du Groenland, territoire rattaché au Danemark, un peu plus de quatre heures après le décollage de Roissy-CDG, c’est, en principe, le bureau danois d’enquêtes sur les accidents (AIB DK) qui est compétent. Mais celui-ci a délégué au Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) du Bourget la conduite de l’enquête qui va être dirigée par l’ingénieur Damien Bélier. Comme c’est toujours le cas, d’autres spécialistes y sont associés, selon les besoins du BEA :
- Le Bureau de la sécurité des transports du Canada, car l’avion s’est dérouté sur Goose Bay au Labrador.
- Airbus
- Le motoriste Engine Alliance – coentreprise de General Electric et Pratt & Whitney
- Air France
- Le NTSB (National Transportation Safety Board), représente les États-Unis, car un propulseur américain est directement en cause.
L’incident est survenu lors d’une mise en poussée
Aucun signe précurseur sur le moteur 4 n’a été observé au cours du vol. Le grave dommage s’est produit au moment d’un changement d’altitude vers un niveau de vol supérieur. Pour ce faire, l’équipage doit mettre plus de poussée. Sur un vol comme Paris-Los Angeles, les pilotes sont en effet amenés à changer plusieurs fois de niveau car, en raison de l’allègement de l’avion au fur et à mesure qu’il consomme du carburant, ils cherchent toujours à voler au plus près du niveau optimal, celui où le rapport consommation-distance est le plus faible. Le moteur ayant donc cassé à ce moment-là, l’équipage a été contraint de faire descendre l’avion au lieu de le faire monter.
La FAA demande l’inspection de ce type de moteurs
La FAA (Federal Aviation Authority), l’autorité américaine de l’aviation civile, a publié le 13 octobre une directive urgente de navigabilité (Emergency Airworthiness Directive, AD), ordonnant une inspection visuelle des moteurs GP7200 fabriqués par Engine Alliance, équipant 60% des Airbus A380, les autres étant équipés de moteurs Rolls Royce.
Les compagnies doivent effectuer une inspection visuelle de tous les moteurs dans un délai qui dépend du nombre de cycles de vols qu’ils ont accumulés, impliquant « le démontage du cône de soufflante (celle qui s’est détachée) si des dommages ou des défauts sont constatés ». Engine Alliance avait déjà demandé à ses clients de mener une telle inspection sous deux à huit semaines. Cette inspection a débuté chez Air France mais rien n’a été détecté pour l’instant.
Les débris du moteur retrouvés sur la calotte glaciaire
Magie du GPS et des systèmes de localisation modernes, une première lecture des données de l’enregistreur de paramètres (FDR) a permis de déterminer le lieu géographique où l’avarie au moteur 4 de l’A380 est survenue. La zone de recherche des éléments qui se sont détachés était tellement précise qu’un hélicoptère de la compagnie locale Air Greenland les a trouvés rapidement en survolant une zone désertique, couverte de glace, à environ 150 kilomètres au sud-est de la ville de Paamiut, située sur la côte ouest.
Des débris parfois de grande taille doivent encore être récupérés, toujours par hélicoptère, en espérant qu’une tempête de neige ne les ensevelisse pas. Si, au moment de la panne, l’A380 avait survolé l’Atlantique ou la mer du Labrador, l’enquête aurait été plus difficile en l’absence des pièces manquantes. Comme on a pu le constater à l’arrivée du quadriréacteur à Goose Bay, le moteur extérieur droit avait perdu le fan, appelé aussi « la soufflante ». C’est la partie avant « froide », celle qui n’est pas soumise à de très hautes températures comme à l’arrière où la combustion du carburant provoque l’éjection de gaz.
Sur ces moteurs de plus de 50 tonnes de poussée, cet énorme disque de plus de 2 mètres de diamètre et pesant des centaines de kilos n’a qu’un jeu de quelques tous petits millimètres avec son carter fixe et un bienheureux hasard a fait que sa trajectoire après son détachement ne soit pas venu transpercer l’aile, où se trouve une énorme réservoir de carburant, et y mettre le feu, où bien se ficher dans la cabine, provoquant la perte de pressurisation et des gros dégâts.
Sur les avions modernes, j’ai toujours été admiratif des performances technologiques développées par les réacteurs, où tournent des masses cinétiques énormes à 10 000 tours/min avec une température sur la turbine de combustion dont le métal est en permanence à une température de 1.300°.
Ces moteurs ont une excellente fiabilité, et ils sont vendus par les constructeurs avec une garantie de 30 000 heures de fonctionnement, (environ 7 ans d’exploitation), avec un dépannage AOG (Aircraft on ground), c’est-à-dire que le constructeur prend en charge la réparation partout dans le monde.
L’arbre de transmission, cause ou conséquence ?
À ce stade, on peut déjà exclure l’acte malveillant, faute de trace d’explosion, et la collision aviaire, puisqu’aucun volatile dans cette région du monde ne s’aventure, au niveau 370 où croisait l’appareil, à plus de 12 000 mètres d’altitude.
Une question majeure se pose : la rupture de l’arbre de transmission est-elle la cause ou la conséquence de l’accident ? Dans le premier cas, les enquêteurs chercheront à identifier des criques dans le métal, ce qui pourrait être un défaut de construction. Si cela peut concerner d’autres moteurs en service, des inspections seront demandées par l’Agence européenne de sécurité aérienne.
Si la rupture de l’axe basse pression est une conséquence, il faudra identifier ce qui en est à l’origine. Le moteur défaillant et ses composants éparpillés au Groenland vont être rassemblés à Cardiff, là où se trouve un centre de maintenance de General Electric qui s’occupe de l’entretien des moteurs construits par Engine Alliance. La partie informatique des moteurs (Fadec) est analysée chez les constructeurs (BAE Systems et Hispano-Suiza) de ces équipements aux États-Unis.
Pour travailler, les enquêteurs disposent des deux boîtes noires (FDR et CVR) en parfait état, mais aussi d’un autre enregistreur de paramètres moins médiatisé, le QAR (Quick Access Recorder). Stockant plus de paramètres que ceux des boîtes noires, il est utilisé pour l’analyse des vols et pour la maintenance. Autre source redondante, l’Acars, ce système de SMS aéronautique, transmet au centre de maintenance de la compagnie les informations sur les plus insignifiantes pannes ou dégradations des performances. Dans le cas de l’appareil qui a subi l’avarie, le moteur numéro 4 entré en service en mai 2011 n’avait pas connu d’antécédent notable de maintenance. Les premières données lues confirment, qu’en vol, aucun signe prémonitoire n’est apparu.
Retour de l’avion stationné à Goose Bay
Pour permettre un retour de l’A380 d’Air France en Europe, un autre moteur GP7200 emprunté à l’A380 exposé au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget (MSN4) devrait être envoyé à Goose Bay et monté à la place du moteur défectueux, sans être néanmoins connecté. L’A380 est certifié pour fonctionner avec trois moteurs. Cette procédure exceptionnelle permettra de préserver l’intégrité globale de l’avion et sa masse en vol, précisent les milieux proches de l’enquête. Cet emprunt au Musée de l’Air et de l’Espace est un des scénarios en cours.
Devant la complexité logistique de ces différentes opérations, le calendrier prévisionnel s’étalera sur plusieurs semaines. La recherche et la récupération d’éléments détachés du moteur endommagé se poursuivent parallèlement au Groenland. Une logistique lourde qui n’est pas terminée, car le transport d’un réacteur de la taille du GP7200 nécessite un avion-cargo Antonov 124 avec sa soute de 1 000 mètres cubes !
Et les passagers ?
Quant aux 496 passagers, faute d’installations sur la base aérienne militaire de Goose Bay, ils sont restés 17 heures au chaud à bord de l’A380, des repas disponibles et l’accès aux services vidéo. Un Boeing 737 de130 sièges a été affrété à Montréal et a embarqué les passagers de première et de classe affaires pour Los Angeles avec une escale technique à Winnipeg.
Parti de Paris, un Boeing 777-300 a embarqué le reste des passagers pour Atlanta où Delta a affrété un autre appareil pour Los Angeles.
Avec l’aimable autorisation de Christian Roger
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4 thoughts on “Air France et le moteur arraché”
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et l’aile endommagée on en parle pas pour le vol retour ?
@sukhoi 27:
depuis quand l’aile a été endommagée?
les debris ont touché l’aile !!!
Je confirme (j’y étais…)
Le bord d’attaque (au moins, je n’ai pas vu plus) est endommagé