29 novembre 2024

Andreas Lubitz © DR

Le point sur le crash de la Germanwings

A l’évidence c’est celle qui est maintenant soutenue par un bon nombre de choses concrètes : l’avion a été jeté sur la montagne par un déséquilibré qui n’avait pas sa place dans le cockpit d’une compagnie qui se dit sérieuse. Sur le plan médical, ce criminel est probablement de la même espèce que les fêlés qui se sont livrés à des massacres dans des campus américains.

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Airbus A319 Germanwings © Juergen Lehle
Airbus A319 Germanwings © Juergen Lehle

Le 2ème enregistreur a été retrouvé le 30 mars et donne déjà quelques informations

Il s’agit du FDR (Flight Data Recorder), qui fournit environ 1.200 paramètres enregistrés sur les dernières 24 heures de vol. L’enveloppe avait été retrouvée, mais pas la boite contenant les informations numériques.

Le Procureur de Marseille a déclaré que le FDR a été retrouvé par une femme gendarme et qu’il n’avait pas été trouvé immédiatement, car il était enfoui à 20 cm sous terre, de même couleur que la roche et dans un endroit qui avait déjà été fouillé.

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Le BEA a déclaré que le pilote a actionné le pilote automatique pour descendre à une altitude de 100 pieds (minimum affichable) et qu’il a modifié plusieurs fois la vitesse à tenir durant la descente pour éviter de déclencher l’alarme survitesse.

Ces éléments confortent la thèse d’un suicide prémédité et contrôlé par un pilote qui n’était pas victime d’un malaise.

Controverse entre la Justice et le BEA !

Le Procureur de Marseille n’a pas du tout apprécié que le BEA transmette le contenu du CVR à sa hiérarchie, c’est-à-dire le Ministère de l’Ecologie (Ségolène Royal). En vertu d’un protocole d’accord signé en septembre 2014 avec le Ministère de la Justice, quand un enquêteur détient une information susceptible de faire avancer une procédure, il doit la transmettre à l’autorité judiciaire (Procureur) et pas à sa tutelle.

C’est ainsi que le Procureur de Marseille a appris par une fuite du New York Times une information qui aurait dû provenir du BEA, ce qui ne lui a pas plus !

Le contenu du CVR

Paris Match a eu accès au CVR et son contenu a été restitué et résumé par un enquêteur qui a pu l’écouter.
10h : L’avion décolle

10h10 : – Le commandant de bord, à Lubitz : « Je n’ai pas eu le temps d’aller aux toilettes avant le décollage. »
– Lubitz : « Vas-y quand tu veux ».

10h27 : L’avion a atteint son altitude de croisière : 38000 pieds (11 500 mètres).
Lubitz répète au Commandant une deuxième fois : « Tu peux y aller. Tu peux y aller maintenant ».

10h28 : – On distingue des bruits provenant d’un siège : le commandant ôte sa ceinture de sécurité. On entend la porte s’ouvrir.
– Le Commandant dit à Lubitz « Tu contrôles maintenant ».
– Lubitz répond sur un ton qui se veut léger : « J’espère ».

10h30 : Lubitz est seul dans la cabine. Il verrouille la porte blindée du cockpit grâce au bouton « Lock » : il est désormais impossible de l’ouvrir de l’extérieur. Puis on l’entend reprogrammer le pilotage automatique pour accélérer la vitesse de descente et passer de 38000 pieds (11 000 mètres) à 100 pieds (30 mètres) en quelques minutes.

10h33 : La descente commence : l’avion perd 3000 pieds (900 mètres) d’altitude par minute. Le contrôle aérien s’en aperçoit. Il essaye à plusieurs reprises de contacter l’avion par radio. Lubitz ne répond pas.

On entend le Commandant qui tente d’ouvrir la porte de la cabine et frappe à la porte : « c’est moi ! ».

Il est face à une caméra reliée au cockpit : Lubitz le voit sur l’écran mais ne réagit pas. Le Commandant s’empare d’une bouteille à oxygène ou d’un extincteur dans le but de défoncer la porte. Pas de réponse. Le Commandant crie : « Pour l’amour de Dieu, ouvre cette porte! ».

10h34 : – Une première alarme retentit, sonore et visuelle : « SINK RATE, PULL UP » (chute importante, redressez !).
– Pas de réaction de Lubitz. A travers la porte du cockpit, on entend les premiers passagers s’affoler dans les travées.

10h35 : Le Commandant demande qu’on aille chercher un pied-de-biche caché à l’arrière de l’appareil. Des coups plus forts retentissent contre la porte, suivis de bruits métalliques. Le Commandant essaye de tordre la porte avec le pied-de-biche.

10h37 et quelques secondes : Une seconde alarme se déclenche, sonore et visuelle : « TERRAIN, PULL UP » (Sol, redressez!). Toujours pas de réaction de Lubitz.
Le Commandant : « Ouvre cette foutue porte ! »

10h38 : Malgré le vacarme ambiant, on identifie clairement le souffle de Lubitz car il a un casque sur les oreilles et un micro devant la bouche ou parce qu’il a mis un masque à oxygène. Il respire normalement. L’avion est à 13 000 pieds (4000 mètres) en descente.

10h40 : On entend un bruit violent qui vient de l’extérieur. Au même moment, à l’intérieur, des hurlements. L’Airbus vient de heurter une montagne avec son aile droite.
Plus aucun autre son que celui des alarmes et les cris des passagers.

10h41 : L’avion heurte de plein fouet le massif de l’Estrop à 5000 pieds (1500 mètres d’altitude) et 800km/h.

Est-il normal que le contenu du CVR soit publié ?

La profession des pilotes de ligne est la seule au monde à voir ses membres enregistrés durant leur travail. Le seul cas d’enregistrement in situ du lieu de travail que je connaisse est celui du Pdt des Etats-Unis. On se souvient que le Washington Post publia un enregistrement du Pdt Nixon dans son bureau de la Maison Blanche, qui montrait son implication dans le scandale du Watergate et qui provoqua sa démission.

Concernant le CVR, une certaine protection est procurée aux pilotes par l’Annexe 13 de l’OACI, qui définit les procédures d’enquête des accidents aériens. Il est prévu que seules doivent être publiées les données qui contribuent à établir les causes de l’accident, en éliminant les propos des pilotes ce qui ne concernent pas l’accident.

Je pense que dès que les éléments clés du CVR sont connus, ils doivent être publiés, soit par le BEA, soit par la Justice, surtout quand le contenu ne prête pas à confusion et qu’il est fondamental pour comprendre les raisons du crash, comme c’est le cas dans cette affaire. Je trouve donc déplorable que ce soit la Presse qui se soit chargée de cette diffusion, qui aurait dû être le fait des Autorités. Les familles, les navigants et tout le public ont le droit de savoir. Ce n’est pas du voyeurisme, c’est une nécessité psychologique pour éviter l’angoisse et contribuer au deuil des proches des victimes.

Ce qui est insupportable, c’est l’attitude du Directeur du BEA, qui prétendait « qu’il était beaucoup trop tôt pour tirer la moindre conclusion sur ce qui s’est passé », alors qu’il connaissait parfaitement le contenu du CVR qu’a publié Paris-Match.

Faut-il accorder crédit à cette publication

Il est très probable que la publication officielle du contenu du CVR confirmera ce déroulement, qui est en parfaite cohérence avec ce qu’a déclaré le Procureur de Marseille sur le contenu du CVR dans ses deux conférences de presse.

Pour ma part je n’ai aucun élément qui me permette de remettre en cause dans ce drame le caractère véridique de ce qui a été déclaré.

Concernant le secret médical

N’en déplaise à Esculape, qui vivait dans un autre monde, cet accident confirme que l’existence d’un secret médical est un non-sens pour certaines professions qui ont la responsabilité directe de la vie de nombreuses personnes. Je désigne notamment les pilotes de ligne, les conducteurs de train ou les chauffeurs de cars. Ce secret ne doit être non pas éliminé, mais relativisé.

Actuellement en France seuls les médecins du travail sont habilités à transmettre à l’employeur des informations concernant les patients qu’ils reçoivent. Les autres médecins sont tenus au secret médical. Ce crash montre de façon exemplaire que ce secret n’a pas sa place dans les professions citées, à mpins d’admettre que la protection de l’individu a plus de poids que la vie de centaines de personnes ! J’ai vu avec plaisir que le Professeur Bernard Debré partage mon point de vue, mais c’est la seule voix que j’ai entendue sur ce thème.

Il me semblerait de bonne politique que si un médecin est informé de la profession de son patient et qu’il constate une pathologie ou une nécessité de médicaments susceptibles de compromettre son aptitude à exercer un métier de conduite, il ait le DEVOIR d’en informer l’employeur. J’insiste sur le fait que les données transmissibles ne concerneraient que ce qui compromet l’aptitude.

Le rôle des enquêtes sur les accidents est de prendre des mesures pour qu’ils ne se renouvellent pas et ce serait une mesure certainement plus nécessaire que la billevesée de mettre une hôtesse ou un steward pour surveiller le pilote seul dans le cockpit.

L’état de santé de Lubitz

Agé de 28 ans, il avait été sélectionné pour un stage de pilote à Brême commencé en 2008 par un stage de 6 mois au sol, suivi de 4 mois de vols à Phoenix (Arizona), terrain choisi parce qu’il y fait toujours beau. Ce stage vol a été interrompu avant l’obtention de son brevet de pilote, selon le Procureur de Düsseldorf (30 mars) du fait « d’un traitement psychothérapeutique pour des tendances suicidaires ».

Il avait repassé les tests de sélection une nouvelle fois ensuite, avait été admis une nouvelle fois en stage pilote mais avec sur sa licence de vol l’indication SIC (Specific Regular Medical Examination), qui signale la nécessité d’un suivi particulier. Du fait de recrutements retardés, il avait servi comme steward à Lufthansa.

Après une nouvelle formation de onze mois, un délai jugé « pas inhabituel » par Lufhansa, il avait commencé à piloter. Il était devenu copilote en septembre 2013 chez Germanwings. Il avait obtenu une certification à la FAA, (Federal Aviation Administration), l’autorité aéronautique américaine.

Dans les mois qui ont précédé le drame, Lubitz était aux prises avec des problèmes médicaux qu’il a dissimulés à son employeur, comme en témoignent selon le Procureur de Düsseldorf des documents médicaux trouvés à son domicile, « preuves d’une maladie existante et de traitements médicaux existants ». Ont été trouvés également des arrêts de travail déchirés, qui englobaient la période du crash.

Le 2 avril, le parquet de Düsseldorf en charge de la partie allemande de l’enquête déclare qu’une tablette a été saisie lors d’une perquisition dans l’un de ses domiciles. Les enquêteurs ont pu accéder aux recherches qu’il avait effectuées sur Internet jusqu’au 23 mars, qui montrent qu’il s’est « informé sur les manières de se suicider » ainsi que sur « les portes de cockpit et leurs mesures de sécurité ». En dehors de ses recherches sur le suicide et les portes de cockpit, Lubitz s’était également penché sur des « méthodes de traitement médical », a-t-on indiqué de même source, sans préciser quel type de maladie était concerné.

Selon une information non confirmée pour l’instant, Lubitz aurait eu un décollement de rétine qui aurait entrainé sa perte de licence de façon certaine.

La lourde responsabilité de Lufthansa

Selon les dirigeants de la Lufthansa, Lubitz avait passé avec succès pendant sa formation une série de tests psychologiques obligatoires. Selon le PDG, Andreas Lubitz avait « réussi tous les tests médicaux, tous les examens techniques et de contrôle, il était 100 % apte à piloter un avion. Ses capacités techniques étaient excellentes, sans exception ».

Compte tenu de ce que nous savons maintenant, cette tirade du PDG de Lufthansa est ahurissante ! Selon le journaliste Victoroff, une telle déclaration, « c’est comme si on déclarait que le Titanic est insubmersible juste après qu’il soit au fond de l’Océan ! »

Concernant les troubles psychiatriques nous ne savions pas déclare Vanessa Torres, porte-parole de Germanwings. Il est effectivement possible que cette compagnie n’ait pas eu connaissance de la situation médicale du pilote, qui avait reçu les bénédictions de Lufthansa et de la FAA aux USA
Mais l’aberration de la situation se situe en amont, quand Lufthansa a constaté durant le stage en vol pilote une profonde dépression nécessitant « un traitement psychothérapeutique pour des tendances suicidaires ».

Par quelle aberration ce stagiaire a-t-il pu ensuite être repris en stage pilote alors qu’une gestion NORMALE de ce problème aurait dû conduire à une élimination définitive.

Dans ce contexte, les rodomontades de Lufthansa sur « les tests d’admission les plus difficiles du monde » et sur « l’aptitude à 100 % apte à piloter un avion. Ses capacités techniques étaient excellentes, sans exception » apparaissent comme ridicules et indécentes.

Le suivi psychologique des pilotes

Il faut qu’il soit clair que dans toutes les compagnies du monde, l’examen du profil psychologique n’existe qu’à l’entrée dans la profession et dans les grandes compagnies. Ensuite, il existe les visites médicales obligatoires une à deux fois par an, selon l’âge, mais il n’y a pas de suivi psychologique systématique.

Comme je l’ai relaté dans mon précédent article sur ce drame, les pilotes sont pour leur quasi-totalité des hommes et femmes qui sont bien équilibrés. Mais la vie, ce sont aussi des coups durs de santé ou familiaux qui peuvent provoquer des problèmes. Cela aboutit parfois à des pertes de licences de vol pour des problèmes psychologiques, s’ils sont détectés ou si l’intéressé en fait mention lors de ses visites médicales (8% des pertes de licences, mais la très grande majorité des pilotes ne perd pas sa licence et c’est donc un problème extrêmement marginal).

Si un cas flagrant de trouble de l’ordre psychiatrique apparaissait en vol, nul doute que le pilote qui constaterait cela chez un collègue en ferait part à la Direction de la compagnie aérienne.

Durant ma carrière de près de quarante ans, je n’ai jamais connaissance de cas de pilote qu’il faudrait éliminer pour trouble du comportement. Le seul cas délicat que j’ai eu à traiter concernait un Commandant de bord qui était notoirement alcoolique à bord, mais le Chef de secteur n’avait aucun moyen de le contraindre à accepter d’aller faire une cure de désintoxication. J’étais alors copilote de Boeing 707 et Leader syndical et il me proposa de me programmer sur un vol, pour que je puisse témoigner. J’ai accepté, le vol s’est fait et en rentrant, ma déclaration permit d’arrêter de vol ce collègue et de le faire soigner Il reprit ensuite les vols après sa cure. J’ai fait cette opération désagréable sans état d’âme, car c’était une nécessité évidente pour la sécurité des passagers et des équipages.

Un pilote de ligne doit-il voler s’il est en traitement anti dépressif ?

C’est une question que pose ce drame et il n’est pas facile d’y répondre, car toute la médecine qui s’occupe du comportement humain n’est pas une science exacte.

C’est probablement un problème qu’il va falloir explorer. Pour les visites médicales que passent les pilotes, on constate que le principe de précaution tient une bonne place. Je connais très bien le cas d’un pilote qui a perdu sa licence pour un trouble bénin du rythme cardiaque, qui ne l’a pas empêché de grimper sur le volcan Popocateplt (Mexique) à 5.400m, pour y décoller en parapente. La raison de cette perte de licence résultait de la nécessité de prendre un médicament.

Je pense en première réflexion qu’il n’est pas souhaitable qu’un pilote en dépression ou sous antidépresseur soit apte à voler. Mais il faudrait prendre des avis autorisés.

La piste du Lubitz converti à l’Islam

C’est une « information » qui fait florès sur Internet, donnée par un journaliste allemand sans qu’il ait fourni le moindre fait qui permette de l’étayer. Je crois vraiment que Lubitz n’avait pas besoin de l’Islamisme pour être dans une situation de suicide et j’attendrais donc des éléments concrets pour changer d’opinion.

La conclusion qui se dessine

A l’évidence c’est celle qui est maintenant soutenue par un bon nombre de choses concrètes : l’avion a été jeté sur la montagne par un déséquilibré qui n’avait pas sa place dans le cockpit d’une compagnie qui se dit sérieuse. Sur le plan médical, ce criminel est probablement de la même espèce que les fêlés qui se sont livrés à des massacres dans des campus américains.

Avec l’aimable autorisation de Christian Roger
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4 thoughts on “Le point sur le crash de la Germanwings

  1. « Je pense que dès que les éléments clés du CVR sont connus, ils doivent être publiés »
    N’en déplaise à Mr Roger, il est INCONCEVABLE que le contenu du CVR ou du DFDR soient rendus publiques dans les conditions qu’il évoque. Comme il l’indique par ailleurs, les enregistreurs de vol sont protégés au titre de l’annexe 13 de l’OACI, mais également par le secret professionnel qui est inscrit dans l’ordonnance réglementant le fonctionnement du BEA et par le Code pénal pour tout élément en relation avec l’instruction d’une affaire. N’oublions pas que le BEA a des obligations concernant l’enquête, cette enquête se limitant à l’aspect TECHNIQUE. C’est uniquement dans ce cadre qu’il peut, au travers de ses rapports intermédiaires ou définitifs, livrer des éléments contenus dans les boites noires. C’EST LA LOI !!!
    Faut-il rappeler la plainte contre X déposée par le SNPL pour violation du secret professionnel ? Faut-il préciser que le parquet a ouvert un dossier suite à cette plainte ?
    Le public et les journalistes doivent comprendre qu’il faut parfois du temps pour que les informations divulguées soient vérifiées et pertinentes. Il est vrai que ce n’est pas ce que font la majorité des journalistes…
    Pour le reste, en tant que pilote, je partage beaucoup de choses de cet article, y compris sur le suivi médical et l’information à la compagnie.

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