Alors que le rapport final du BEA concernant l’accident du vol AF447 du 1er juin 2009 n’est pas attendu avant de nombreuses semaines, un rapport non officiel circule déjà depuis plusieurs jours. Son auteur est un ancien CdB Air France sur 747, ancien leader de la Patrouille de France, expert aéronautique… Nous avons obtenu son autorisation pour publier ici même son analyse sur ce terrible accident.
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Par Christian ROGER
jumboroger@orange.fr
Commandant de Bord Boeing 747 Air France (Retraité)
Ex Leader de la Patrouille de France
Expert de l’accident de Sharm El Sheikh (2004) pour le compte des familles des victimes (Rapport d’analyse rendu un an avant les conclusions officielles)
Ancien Président du Bureau Air France du SNPL (Syndicat National de Pilotes de Ligne) – 1986 / 1990
Qui sont les intervenants dans ce drame?
L’idée de ce document m’est venue en prenant connaissance du dernier rapport d’étape du 29 juillet 2011 du BEA (Bureau d’Enquêtes et Analyses), qui met l’accent (euphémisme) sur les pilotes, embouchant ainsi les trompettes d’Airbus sur la responsabilité de ces pilotes dès que le contenu des enregistreurs a été connu.
Il est de fait que ce rapport d’étape se contente d’effleurer les autres faits qui ont contribué à la catastrophe et qui ont pourtant été déterminants.
L’objectif de ce document est d’essayer de définir la part prise par les différents intervenants qui sont partie prenante de ce drame.
Il faut savoir que les pilotes de l’AF447, une fois installés dans un décrochage profond, se sont trouvés dans une situation qui n’avait jamais été prévue par les concepteurs, ni explorée lors des essais en vol de l’avion ( Parce qu’en dehors du domaine de vol normal) et que les simulateurs sont incapables de reproduire, leur logiciel n’étant pas conçu pour cela.
Les pilotes ont donc à coup sûr leur part à prendre dans cet accident, et ils ne seront pas épargnés, mais ils ne sont pas les seuls, comme nous allons le montrer.
Le politiquement correct est toujours de dire que le plus grand nombre des accidents a une cause humaine et la tentation est toujours grande de se tourner vers les pilotes de l’avion..
Ce sont effectivement eux qui sont les acteurs en dernier ressort et le plus souvent, ils ne sont plus là pour donner des explications sur ce qui s’est passé. C’est bien connu, les absents ont toujours tort !
L’avantage de cette option est de masquer les responsabilités des autres intervenants dans l’accident. D’un côté les pilotes, de l’autre des structures bien organisées, des intérêts financiers considérables de fabricants, des Administrations aéronautiques sans indépendance, voir même la Raison d’Etat, tous prompts à se défausser de leurs responsabilités.
La balance n’est pas égale.
Je vais essayer de vous faire partager l’analyse que je fais de cette catastrophe, qui est celle d’un aviateur dénué de tout souci corporatiste, soucieux de donner un sens à la doctrine de l’OACI (Aviation Civile Internationale) en matière d’enquête sur les accidents :
« Tirer de l’évènement les enseignements susceptibles de prévenir de futurs accidents. »
Christian ROGER
L’Airbus A 330
Ce soir du 1er juin 2009, l’Airbus A330 du vol Air France AF 447 décolle de Rio pour Paris à 22h29 GMT
Il emporte vers leur destin :
- 213 passagers
- 9 hôtesses et stewards
- Le CDB et deux OPL(Officier Pilote de Ligne), puisque le vol est long (10h34 minutes)
- L’avion pèse 232 tonnes et il emporte 70.4 tonnes de carburant
A 02h 14 minutes et 28 secondes, cet avion va percuter la mer, après 3h 44 minutes de vol.
L’élément déclenchant de cette catastrophe fut le givrage des sondes Pitot qui permettent de calculer la vitesse de l’avion.
Le drame se déroulera en 4 minutes et 23 secondes et cet accident est exemplaire de la difficulté que vivent les pilotes de ligne.
C’est un métier passionnant et quand on décolle aux commandes d’un Boeing 747 avec 500 personnes derrière soi, on se sent responsable.
Mais cette responsabilité s’exerce dans un environnement technique de plus en plus complexe et dans le même temps de plus en plus fiable.
Lors de la quasi-totalité des vols, il ne se passe rien de critique et la rareté des situations d’urgence tend à endormir la vigilance et à faire relâcher la rigueur intellectuelle nécessaire à la pratique du métier.
Mais, même s’il est rare, l’évènement imprévisible est toujours menaçant et il faut être prêt à faire jaillir son savoir-faire et sa connaissance des arcanes de l’avion pour faire face à la surprise qu’il provoque, même si c’est en pleine nuit, dans les orages et les turbulences. Faut-il encore pour mener cette mission de sauvegarde ultime de l’avion que les fondamentaux du pilotage en situation critique aient été acquis et que la qualité et le travail d’instruction amènent une très bonne connaissance de la technique de plus en plus sophistiquée des avions modernes.
Il faut rappeler que le risque aérien est faible par rapport aux autres risques en société
Évolution nombre d’accidents aériens et de victimes
Depuis 1975, le taux d’accidents reste stable à environ 2 crashs par million de départs.
Entre 500 et 1000 morts par an sur toute la planète
Rapports du BEA (Bureau d’Enquêtes et Analyses)
Sur cet accident, le BEA a produit 3 rapports d’étape :
- N°1 : 2 juillet 2009
- N° 2 : 17 décembre 2009
- N°3 : 29 juillet 2011 (Après récupération des enregistreurs de vol)
Le rapport final est prévu pour 2012
Conformément à l’annexe 13 de l’OACI (Aviation Civile Internationale), le but de l’enquête n’est pas d’établir des fautes ou des responsabilités individuelles ou collectives. L’objectif est de tirer des enseignements susceptibles de prévenir des accidents. L’appréciation des responsabilités est dévolue à la procédure judiciaire actuellement en cours
Les enregistreurs de vol
Le but de ce document étant de cerner les différents intervenants contributifs au crash, nous ne nous attarderons pas sur les recherches de l’épave.
Ces recherches ont été menées avec une opiniâtreté qu’il faut saluer, ayant impliqué une foule de spécialistes et techniques diverses au cours de trois campagnes en 2009 – 2010 pour aboutir à la découverte de l’épave et des enregistreurs de vol en mai 2011
Cockpit du A 330
Les commandes de vol électriques du A 330
Les Airbus issus de la nouvelle génération née en 1988 avec le A 320 sont tous à commandes de vol électriques comme le sont les avions de chasse et comme l’était le Concorde.
Les câbles d’acier qui reliaient les manches à balai des pilotes aux gouvernes sont remplacés par des fils électriques qui passent par 5 calculateurs pour transmettre les ordres de vol aux vérins hydrauliques des gouvernes.
En plus du gain de poids, cette conception a permis d’introduire dans le programme de gestion des commandes de vol des modules permettant d’augmenter la sécurité, le confort ou l’économie. Un Airbus sait, par exemple, braquer ses surfaces de vol très vite pour contrer les effets des turbulences et améliorer le ressenti du vol des occupants. Le pilote le plus alerte serait incapable de fournir une telle fonction.
Le vrai précurseur d’avion civil à commandes électriques fut le Concorde qui fit son premier vol en 1969. Toutes ses gouvernes de vol étaient contrôlées par un signal électrique provenant de deux circuits indépendants. Les mouvements des surfaces des gouvernes de vol étaient directement proportionnels au déplacement des commandes dans le cockpit, comme cela se passait sur tous les autres avions.
La Loi Normale de vol
L’Airbus A 320 fut conçu autour d’une loi « Normale » de commandes de vol qui fut adoptée sur tous les autres modèles ultérieurs.
C’est le mode de fonctionnement habituel de l’Airbus. L’appareil se pilote au facteur de charge. C’est-à-dire qu’à un mouvement donné du minimanche, correspond toujours la même accélération (ou même g). Ceci est à comparer aux avions à commandes de vol classique pour lesquels un mouvement du manche correspond toujours au même débattement des surfaces de vol.
Lors du décollage, ce mode normal efface les ordinateurs de la chaîne de commande des gouvernes de vol et permet au pilote de faire la rotation en action directe et avec autorité totale sur la gouverne de profondeur. Dès que l’avion prend de la hauteur, la loi normale remet progressivement les ordinateurs dans la boucle.
Les protections en loi « Normale » sont les suivantes :
1°) Protection du Facteur de charge : +2.5g / -1g et si les volets sont sortis : +2.0g / 0g
2°) Protection de l’Inclinaison : 67°.
Quand le pilote incline le manche, même très rapidement, l’avion part en inclinaison, dont la vitesse de rotation est limitée à 15 degrés par seconde. Le maximum atteignable est de 45° ou 67° en fonction de la protection survitesse si elle est active ou non. Jusqu’à 33° d’inclinaison, si le pilote relâche le minimanche, l’avion garde l’inclinaison atteinte. Au-delà, il revient à 33° si on lâche la commande. Exception : si la protection survitesse est active, l’avion revient à l’horizontale si la pression sur le manche est relâchée.
3°) Protection en assiette : + 25° à Cabrer / -15° à Piquer
4°) Protection d’incidence : 6°, avec déclenchement à 4° d’une alarme sonore « Stall » de décrochage
5°) Protection de survitesse : Quand l’appareil atteint sa vitesse ou son mach maximal (VMO ou MMO), les ordres a piquer ne sont plus pris en compte et un ordre à cabrer est envoyé. En même temps, l’inclinaison maximale qu’il est possible d’ordonner est limitée à 45° et l’avion revient a l’horizontale dès que le manche est relâché. Si le pilote automatique est actif, il va se déconnecter quand cette protection s’active.
En Loi « Normale », la conception des commandes et les protections offertes font des Airbus des avions très agréables à piloter, très précis et qui sont bien protégés contre les erreurs classiques que peuvent faire certains pilotes.
L’utilisation de cette Loi de commandes de vol « Normale » couvre probablement 99,99% des situations de vol. Mais Airbus a livré environ 7.000 avions qui font chacun environ 5.000 heures de vol chaque année, c’est-à-dire 35 millions d’heures de vol. Un petit pourcentage de vols hors Loi « Normale » devient alors quelque chose d’important !
Loi « Alternate 1 »
Dans le cas de panne de calculateurs, de certains capteurs (vitesse) ou de certaines commandes de vol (PHR, gouverne de profondeur, amortisseur de lacet, etc), les commandes de vol passent en mode « Alternate 1 » ou « Alternate 2 ».
L’avion se pilote toujours au facteur de charge comme en Loi Normale mais la réponse en tangage est plus lente, car il n’y a plus de protections en tangage. Le système de commandes de vol passe dans ce mode « Alternate » s’il détecte certaines pannes. Les protections sont les suivantes :
- Protection Facteur de Charge : conservée
- Protection en Tangage : perdue
- Protection d’angle d’attaque (Incidence) : Modifiée. Comme il n’y a plus d’information d’angle d’attaque, une méthode approchée est utilisée. En fonction du poids de l’avion, le système définit une vitesse minimale à l’approche de laquelle le dispositif de protection entre en jeu. Une alarme de type « cricket » retentit, une voix synthétique annonce « stall ! », un ordre à piquer est progressivement introduit et le mode passe en loi directe permettant une autorité totale au pilote. Ce dernier peut contrer l’ordre à piquer engagé par la protection.
- Protection Survitesse : Quand l’appareil rentre dans la zone de survitesse, un ordre à cabrer est progressivement envoyé dans la chaîne de commande. Le pilote a la possibilité de le contrer.
- Protection en inclinaison latérale : conservée
Loi « Alternate 2 »
Cette loi Alternate 2 devient active dans divers cas de pannes, notamment en cas de désaccord entre les 3 ADR (Air Data Reference), qui donnent les vitesses de vol.
- La déflection des ailerons devient proportionnelle au déplacement du minimanche. Le taux de roulis possible devient 20 à 25 degrés par seconde alors qu’il est de 15 degrés par seconde en Loi Normale.
- Protection en inclinaison : disparue.
- La protection d’angle d’attaque disparaît en cas de panne de 2 ADR (Air Data Reference)
- La fonction Trim de profondeur automatique (PHR) continue à fonctionner
L’avion AF 447 est passé de la loi « Normale » à celle « Alternate 2 » lors du givrage Pitot et il est resté dans cette loi jusqu’à l’impact.
Loi « Directe »
Cette loi est la plus dégradée. Les mouvements du minimanche donnent des mouvements proportionnels sur les surfaces de vol. La gouverne de profondeur a une butée variable. Son débattement est élevé quand le centre de gravité de l’appareil se trouve vers l’avant et faible quand le centre de gravité est vers l’arrière. Ceci permet d’avoir un avion ni trop sensible, ni trop mou sur cet axe.
L’avion passe dans cette loi dans certains cas de pannes qui ne concernent pas l’accident .
Il n’y a plus aucune protection. Le trim automatique n’existe plus. Les alarmes de décrochage et de survitesse existent toujours mais c’est au pilote de faire les corrections nécessaires.
Le Concorde a été exploité pendant des décennies avec des commandes de vol électriques qui n’avaient que la Loi Directe avec pilote automatique. Ses pilotes avaient la formation pour voler tout le temps en Loi Directe.
Airbus et Boeing : deux conceptions très différentes de l’interface pilote-avion
La gestion informatisée des commandes de vol permet d’introduire des fonctions qui sécurisent le domaine de vol. Ici encore, on trouve deux philosophies différentes que l’on regarde du coté de Boeing ou Airbus.
Interface pilote-avion chez AIRBUS : Mise à l’écart des pilotes
Chez Airbus, dès la conception de l’Airbus 320, ses ingénieurs sont partis d’emblée sur un postulat : puisque la plupart des accidents aériens avaient une origine humaine, il convenait de donner le maximum de prérogatives à l’informatique en tenant le pilote en lisière afin d’éviter ses erreurs de pilotage.
Puisque les ordinateurs de bord devaient assumer l’essentiel de la sécurité du vol, les ingénieurs et pilotes d’Airbus se sont complètement désintéressés de l’interface homme-machine, qui avait pourtant été considérée comme une nécessité impérieuse dans la conception de tous les avions précédents dans le monde.
En témoigne ce qu’il faut appeler du mépris, nous disons bien mépris, quand on constate que :
1°) Les mini-manches des commandes électriques ne sont pas conjugués
C’est-à-dire que quand un pilote déplace son manche pour faire évoluer l’avion, le manche de son collègue reste inerte.
Et pourtant tous les pilotes qui ont volé sur des avions à double commande savent combien il est précieux quand c’est « l’autre » qui pilote de voir bouger le manche devant soi, voire de l’accompagner en posant d’une main dessus sans interférer dans le pilotage engagé.
Sur les Airbus, le PNF (Pilote Non en Fonction) doit suivre sur son tableau de bord le résultat des actions du PF (Pilote en Fonction).
Ignorant totalement les pressions et mouvements exercés sur le manche par son collègue, il ne lui est pas possible d’anticiper sur les mouvements futurs.
Le SNPL avait vigoureusement insisté lors des essais du A 320 en 1987 pour que cette conjugaison des manches subsiste.
Pour justifier un refus, Airbus répondit que la non conjugaison des manches faisait gagner 10kg sur la masse de l’avion ! (Sic)
2°) Les manettes des gaz sont inertes
Sur tous les avions de ligne, le pilote peut déplacer les manettes des gaz du ralenti jusqu’à la poussée maxi. Éventuellement, les manettes des gaz sont actionnées par une automanette, espèce de pilote automatique.
Sur tous les jets de ligne anciens ou modernes à l’exception des Airbus, l’automanette déplace les manettes en même temps qu’elle modifie la poussée. Les pilotes ont ainsi « de visu » et éventuellement gestuellement s’ils ont la main sur les manettes un retour d’information de ce que fait l’automanette et donc sur l’évolution de la poussée.
Pour apprécier la poussée, les pilotes d’Airbus sont ainsi privés du retour d’information gestuel du mouvement des manettes et n’ont que les seuls indicateurs de cadrans (petits) de cette poussée. Une évolution de la poussée sous une action intempestive de l’automanette peut ainsi passer inaperçue des pilotes s’ils n’ont pas le regard sur les cadrans de poussée.
De plus, l’ordinateur a primauté sur le pilote et s’il veut prendre le contrôle manuel des gaz, il doit d’abord couper le PA, puis déplacer les manettes jusqu’au niveau de la poussée affichée avant de pouvoir réduire ou augmenter la poussée à sa guise. Cela peut prendre une minute, avec les conséquences qu’on imagine en cas d’urgence !
Interface pilote-avion chez Boeing :le pilote reste maître final des commandes de vol
Il aurait été stupide de na pas utiliser les progrès de la technique avionique pour la conception du Boeing 777 sorti en 1994 avec des commandes de vol électriques. Mais contrairement à Airbus, les ingénieurs de Boeing, appuyés par l’US ALPA (Syndicat des pilotes de ligne US) ont choisi de mettre sur le nouvel avion toutes les protections nécessaires, mais en donnant au pilote la primauté finale de la trajectoire.
Deux approches radicalement différentes de la présence de l’homme. On peut rapprocher cette philosophie de la conquête spatiale. Les Américains avaient conçu le module lunaire avec un pilotage éventuellement manuel de l’alunissage. Bien leur en prit, car Neil Amstrong dut couper et rallumer plusieurs fois ses fusées de freinage pour se alunir manuellement, le guidage prévu étant HS. Les Soviétiques avaient choisi les automatismes. Ils n’ont pas marché sur la Lune !
Sur le Boeing 777, les protections de vol existent aussi mais au lieu d’être limitatives, elles sont dissuasives.
Quand le pilote donne un ordre à incliner, le système de commandes va renvoyer une force au manche proportionnelle à l’inclinaison déjà atteinte. Ainsi, plus l’avion est incliné, plus le manche sera lourd et il faudra une force de plus en plus importante pour l’incliner encore dans la même direction. Par contre, si le pilote est déterminé, il peut exercer une force suffisamment élevée et obtenir l’inclinaison qu’il veut.
Boeing a conservé le manche classique des avions de ligne pour ses commandes électriques et les manches CDB et OPL sont bien entendu conjugués.
Les manettes des gaz se déplacent quand l’automanette est connectée, donnant au pilotes l’information visuelle de la variation de poussée.
En définitive le B777 est en parfaite harmonie entre la technologie et ses pilotes et considéré chez les pilotes comme le meilleur avion du monde actuellement.
Cockpit du Boeing 777
Incidence d’une aile
L’incidence permet la portance de l’aile. Si elle devient trop forte l’avion décroche et tombe. Paradoxalement et de façon difficilement compréhensible, l’usage s’est pris depuis l’aube de l’aviation de situer le décrochage de l’avion par rapport à sa vitesse alors que la donnée fondamentale de base est l’incidence de l’aile.
Pour l’ A 330, l’incidence de vol en croisière est de 3°, mais les actions à cabrer du copilote de l’AF 447 l’ont fait passer à 40° en 1 min 40 sec après la perte des indications de vitesse (l’avion est en décrochage à partir de 6° d’incidence).
Aile en vol normal de portance
La portance croit linéairement avec l’augmentation de l’incidence (Angle of Attack) jusqu’à un maximum. Dans cette phase, les filets d’air s’écoulent de façon laminaire sur les parois de l’aile.
Aile en décrochage
Domaine de vol d’un avion à haute altitude
Pour une masse donnée et une altitude, le domaine de vol est encadré par deux valeurs:
- Mach mini en dessous duquel l’avion décroche
- Mach Maxi où commencent à apparaître des phénomènes de compressibilité à l’approche de la vitesse du son ( Mach 1).
La marge du domaine de vol se rétrécit si l’altitude augmente. Les avions de ligne gardent une marge en volant au moins 4000 pieds en dessous du plafond de sustentation.
Horizon artificiel
Sur l’horizon artificiel de chaque pilote, le domaine de vol est matérialisé par une vitesse maxi, en rouge et une vitesse mini.
Airbus : l’avion qui ne peut décrocher !
Dès la mise en service des premiers A 320 à commandes de vol électrique en 1988, la philosophie d’Airbus a été de dire que cet avion ne pouvait décrocher. Le Chef Pilote d’Airbus de l’époque n’hésitait pas à déclarer que « Cet avion est tellement facile qu’il pourrait être piloté par ma concierge » (Sic) !
Dans une note du 16 juin 2010, postérieure à l’accident du Rio-Paris, incluse dans le Flight Crew Training manual de l’Airbus A 330/A340, on lit la stupéfiante phrase suivante :
« The effectiveness of fly-by-wire architecture, and existence of control laws, eleminate the need for upset recovery manœuvrers to be trained on protected Airbus aircraft »
“L’efficacité de l’architecture des commandes électriques de vol et l’existence de lois de Contrôle élimine le besoin d’entraînement aux manœuvres de récupération sur les avions d’Airbus protégés »
Et pourtant !!!
Il aurait fallu préciser que cet axiome réjouissant pour un pilote n’était pas valide quand les commandes de vol passaient en mode « Alternate », sans protections, ce qui advint au vol Rio-Paris et qui rend la doctrine Airbus coupable de non assistance à personnes en danger
Le Pot au noir
Le givrage des tubes Pitot s’est produit en abordant la zone du « Pot au Noir », bien connue des marins, appelée aussi « Zone de Convergence Inter Tropicale » (Carte satellite MTO France)
Les Cumulo-Nimbus du Pot au noir
Dans la ZCIT (Zone de Convergence Inter Tropicale), le sommet des « enclumes » des cumulo-Nimbus se situe au-dessus du niveau de vol des avions de ligne, qui font des altérations de cap pour éviter les noyaux orageux qui se manifestent sur les écrans des radars de bord.
Tubes Pitot
Réaction des pilotes à la perte des vitesses et du pilote automatique
Dans les minutes qui précédent le givrage des tubes Pitot, la situation est la suivante:
01h59 00 – le CDB va quitter le poste et assiste au briefing entre les deux copilotes
Vers 02h02 – le CDB quitte le cockpit pour le poste de repos
02h 08 07 – l’OPL Gauche suggère une déviation de 12° gauche pour éviter un Cumulo-Nimbus
- L’avion est en Pilote automatique et Automanette des gaz ON
- En croisière à 35.000 pieds dans couche de nuages légèrement turbulente
- Ne peut monter car trop lourd
- Mach de croisière = 0.82
02h 09 46 – L’OPL gauche réduit le Mach de 0.82 à 0.80
Givrage des tubes Pitot
02h 10 05: Les sondes Pitot ont givré, il va s’écouler 4 minutes et 24 secondes avant que l’avion percute la mer.
Nous allons tenter d’expliquer les réactions des pilotes en analysant l’extrait essentiel ci-après des paramètres enregistrés durant ces 4 minutes fatidiques. Ce ne sont que des fragments analogiques des quelques 1300 paramètres numériques enregistrés par le FDR montrant les 24 dernières heures de vol
Mais ces graphiques permettent de situer les actions de pilotage et les conséquences qui en ont découlé.
Paramètres partiel du Flight Data Recorder
Procédure « IAS Douteuse » au jour de l’accident
Au niveau de vol 350 où se trouvait l’avion, le train, les aérofreins et les volets étaient rentrés. Le PA avait sauté ainsi que l’automanette (A/THR). L’assiette de 5° recommandée et la poussée « CLB » (climb) aboutissait en fait à une montée puisque l’assiette de croisière était de 2°. Cette procédure a été modifiée depuis pour recommander le maintien de l’assiette de croisière.
02h 10 05 : Lorsque le givrage des tubes Pitot survient:
- Le Pilote automatique et la Manette de poussée se déconnectent
- L’avion passe en Loi de commandes de vol ALTERNATE 2
- Les vitesses indiquées disparaissent
- L’OPL Droite annonce « J’ai les commandes » et aussitôt, il met son manche vers « Cabrer » au ¾ de la butée cabrer 5 secondes après le début de son action.
L’assiette de l’avion part vers « Cabrer » comme le montre le graphique ci-dessus (Assiette dans le jaune = Piqué et au- dessus de la ligne rouge = Cabré). On voit que mis à part environ 40 secondes, l’OPL Droit crispé sur son manche gardera son manche à cabrer durant près de 4 minutes.
02h 10 36 : L’avion prend de l’altitude, qui est passée de 35.000 à 37.124 pieds. Mais cette montée se paie bien entendu en vitesse qui chute.
L’OPL Gauche a conscience que son collègue a trop de cabrer et lui fait plusieurs injonctions: « Attention à ta vitesse », « Redescends ». Son collègue répond plusieurs fois « Okay », mais ses actions correctrices sont trop faibles. La vitesse verticale (Variomètre) reste en montée et l’assiette ne passe que fugitivement en piquer.
Durant les 4 minutes du drame, le côté néfaste de la non conjugaison des manches apparaît clairement. Si elle avait existé, l’OPL Gauche aurait senti tactilement que son collègue était crispé sur son manche vers cabré et il aurait été plus directif, en pesant certainement sur le manche pour obtenir l’action correctrice qu’il voulait.
02h 10 51 : Début de la succession des alarmes sonores de décrochage « Stall » + « Cricket »
02h 10 56: La poussée est mise sur TO/GA (décollage), ce qui accroît la tendance à cabrer.
02h 11 00 : L’avion reste cabré et monte. Il passe par son maximum de 37.924 pieds. La courbe de la vitesse verticale passe par un maximum de +2.000 pieds/min puis elle va chuter ensuite très rapidement pour atteindre des valeurs catastrophiques à -15.000 pieds/min. L’avion est passé en décrochage.
La courbe d’incidence montre l’augmentation de celle-ci depuis +2° en croisière en passant par les 6° qui matérialisent le décrochage. Elle atteindra des valeurs de 40° sur la fin.
Jusqu’à cet instant, l’avion était aisément rattrapable. Il suffisait de ramener la maquette de l’avion sur l’horizon artificiel, de garder les ailes horizontales et maintenir la poussée. On aurait ensuite tranquillement récupéré l’altitude du plan de vol de 35.000 pieds.
Mais quand l’avion va s’enfoncer dans un décrochage profond, faute de cette action salvatrice, les pilotes vont se trouver dans une situation qui n’a jamais été vécue sur Airbus, ni par les pilotes d’essais ou de ligne, ni en vol, ni au simulateur.
Il est compréhensible qu’ils aient été désorientés.
Comme si l’erreur de l’OPL Droit a s’obstiner dans le cabré ne suffisait pas, c’est le logiciel de l’avion qui va aggraver les choses avec :
Un PHR au cabré intempestif et dramatique
Dans le même temps où l’avion passe en décrochage, le PHR (Plan Horizontal Réglable se déroule vers « Cabrer ».
Dans la Loi « Normale » de commandes de vol, chaque fois que le pilote demande du cabrer par son manche, le PHR vient « l’aider » en mettant plus ou moins de cabrer. Cela ne pose aucun problème dans cette loi normale puisque la protection d’incidence joue son rôle pour limiter l’action du PHR.
Il en est tout autrement en cas de Loi « Alternate 2 », car dans ce cas il n’y a plus de protection d’incidence. Le pilote commet une erreur en gardant une pression à cabrer quasi constante qui l’amène au décrochage.
Mais comme la fonction « Trim automatique » est toujours active en Loi Alternate 2, le PHR suit les demandes à cabrer du pilote et se déroule vers plein cabrer.
Dans l’accident du AF 447, le PHR s’est ainsi déroulé vers sa position plein cabrer alors que l’avion était déjà en décrochage, empirant ainsi la situation et rendant la récupération encore plus problématique
Le PHR est ainsi passé en 50 secondes de -3° en croisière à -13° à plein cabrer et il est resté dans cette valeur jusqu’à l’impact.
Pour ramener l’avion à une incidence inférieure aux 6° maximum et sortir ainsi du décrochage, il aurait fallu que le pilote mette son manche à plein piquer pendant environ 50 secondes.
Mais la vitesse de descente était alors de 10.000 pieds par minute et pour accepter ce piqué prolongé qui allait encore aggraver le taux de descente, il aurait fallu que les pilotes aient la perception de la réalité d’une situation qui leur était dissimulée.
Une alarme de décrochage dont on ne tient aucun compte
02h 10 36 : La perte des indications de vitesse du fait du givrage Pitot a duré 29 secondes et elles redeviennent valides.
02h 10 51 : Sous l’effet du manche à cabrer, l’incidence augmente et atteint les 4° qui déclenchent l’alarme de décrochage « Stall ».
Aucun des pilotes n’en fera état, comme si elle était occultée dans leur cerveau par d’autres préoccupations. Il faut dire que cette alarme n’a jamais été entendue auparavant par les pilotes, ni en vol, ni en simulateur, car ils ne sont jamais confrontés à une situation d’alarme « Stall » lors du fonctionnement de la Loi « Normale » de vol.
A ce moment, tout rentrerait dans l’ordre si, obéissant à cette alarme, l’OPL Droit rendait la main pour passer en léger piqué. Mais il réagit en sens contraire et accentue son cabrer. L’avion va s’enfoncer dans le décrochage.
Les annonces « Stall » vont se succéder toutes les 1.5 secondes environ et elle va retentir 75 fois jusqu’à l’impact.
02h 11 30 : Une minute et 25 secondes après la déconnexion du PA, le PF annonce 2 fois « Je n’ai plus du tout le contrôle de l’avion »
Une confusion dans le cockpit aggravée par des informations absentes
02h 11 58 : OPL Droit : « Le problème, c’est que je n’ai plus de vario »
Le CDB acquiesce : « D’accord » et l’OPL Gauche ajoute : « On n’a plus une indication valable »
- Si l’OPL Droit fait cette annonce de perte de vario, cela indique que quelques instants auparavant, il disposait de cette information.
- Le fait que le CDB réponde « D’accord » laisse à penser qu’il constate lui aussi la disparition de l’indication du variomètre.
- Enfin, si l’OPL Gauche avait eu une lecture possible de son variomètre, il n’annoncerait pas « Qu’il n’a plus une indication valable ».
02h 12 00 à 02h 12 30 : L’enregistrement FDR de la vitesse verticale confirme cette saute des indications. le vario fait de multiples oscillations entre 0 et -15.000 pieds/min, pour se « stabiliser » jusqu’à la fin entre -10.000 et -15.000 pieds/min.
La situation est gravissime et semble alors être la suivante:
- Les indications de vitesse sont inexploitables, comme le montre le graphique, avec des sauts continus de vitesses entre 50kt et 400kt
- La vitesse verticale semble avoir disparu de l’affichage sur les horizons artificiels.
- L’altitude est voisine 30.000 pieds et descend rapidement. On a perdu 3.000 pieds en 30 secondes et cela continue.
- Les assiettes et inclinaisons sont bonnes et ne sont pas contestées par les pilotes.
A ce moment, les pilotes sont dans une situation de vol en décrochage profond qui n’a jamais été vécue sur un Airbus, ni par les pilotes d’essais, ni par les pilotes de ligne. Pour s’en sortir, ils ne disposent que de l’assiette de l’avion, son inclinaison et de la poussée. La seule chose qui bouge sur le tableau de bord est l’altimètre qui dégringole.
On comprend aisément que dans ce stress intense des pilotes, un sentiment d’impuissance se manifeste.
Une information de l’alarme décrochage aberrante
La confusion des pilotes va être aggravée d’une façon qui va être très contributive à l’accident par les incohérences de l’alarme décrochage, qui arrête son message si la vitesse détectée devient inférieure à 60kt, car les ingénieurs d’Airbus ont considéré qu’en dessous de cette valeur, les données ne sont plus significatives. C’est vrai, mais aéronautiquement, le décrochage continue et cette disparition de l’alarme est source de quiproquo tragique.
L’alarme sonore de décrochage s’arrête donc quand l’incidence devient invalide et se réactive quand elle redevient valide.
Plusieurs actions à piquer de l’OPL Droit sur le minimanche provoquent une diminution de l’assiette et donc de l’incidence et entraînent une légère augmentation temporaire de la vitesse, ce qui rend l’incidence à nouveau exploitable. L’alarme se remet donc à envoyer son message « Stall ».
Les quelques actions salvatrices à piquer aboutissent donc à la réactivation d’une alarme de décrochage que l’on entendait plus.
Il semble que le pilote aux commandes, trompé par cette indication, considère que puisqu’une action à piquer entraîne l’activation de l’alarme décrochage, il faut mettre du manche à cabrer. L’alarme redisparaît alors, puisque la vitesse repasse sous les 60kt.
L’absence de présentation de l’incidence de vol sur cet avion en Loi de commandes « Alternate » a été un facteur déterminant de la confusion des pilotes et contributif de l’accident.
Jusqu’à la fin du vol, les actions pilotes vont être une succession désordonnée d’actions contradictoires à cabrer pour l’essentiel et seules une dizaine de secondes sur les 2min 30 qui restent à vivre verra l’assiette passer très fugitivement sous l’horizon.
Un Commandant de bord étrangement passif
02h 11 43: Le CDB entre au cockpit et dit « Qu’est-ce qui se passe? »
On est perplexe devant la réaction du CDB dans cette situation critique. Il avait quitté le cockpit 10 minutes avant et n’est donc pas endormi. Quand il arrive au poste de pilotage, l’alarme sonore de décrochage vient juste de s’arrêter après avoir retenti 44 fois en 50 secondes. Le premier coup d’œil qu’il se doit de jeter sur les instruments montre :
- Une altitude de 35.000 pieds en dégringolade
- Une vitesse indiquée de 100kt au lieu de 300kt
- Un taux de descente à plein piqué (Il est de – 10.000 pieds/min)
- Un avion cabré à 15°
02h 11 45 : l’OPL Gauche : « On perd le contrôle de l’avion » et l‘OPL Droit ajoute : « On a tout tenté ».
Un réflexe conservateur et professionnel aurait voulu qu’il éjecte vite fait l’OPL en place CDB pour reprendre sa place. Mais il s’asseoit sur le siège central entre les pilotes et ses réactions durant les trois minutes avant l’impact le montre passif, ne donnant que des remarques non décisives.
02h 12 06 : l’OPL Droit dit « J’ai l’impression qu’on a une vitesse de fou » et il sort aussitôt les aérofreins, mais l’OPL Gauche réagit de suite et lui crie « Non , surtout ne les sors pas ». Il les rentre immédiatement, sans que cette sortie ait provoqué de réaction du CDB !
02h 12 14 : l’OPL Gauche demande au CDB : « Qu’est-ce que tu en penses. Qu’est-ce qu’il faut faire? » et le CDB répond « Je ne sais pas ! Ça descend ».
Compétence ou problème physiologique? La raison de ce comportement non professionnel du CDB restera posée.
02h 12 54 : Le CDB et l’OPL Gauche sont préoccupés par l’horizontalité des ailes. L’avion est instable en inclinaison d’une part du fait qu’il est en décrochage et d’autre part parce qu’en Loi Alternate 2, le taux de roulis autorisé passe de 15°/sec à 25°/sec.
Cette difficulté en roulis est certainement aggravée par les 5 tonnes de carburant qui sont logées dans la queue de l’avion durant la croisière, pour le mettre en centrage légèrement arrière et consommer ainsi moins de carburant en croisière.
Il y aura lieu de déterminer quelles difficultés a ajouté dans la maîtrise du décrochage la présence de ce carburant, ajouté à l’influence néfaste du PHR déroulé à plein Cabré.
Ah, s’ils avaient disposé d’un indicateur d’incidence !
Jusqu’à la fin du vol, les pilotes ne savent plus quoi faire, avec des périodes de cabré, et de piqué. Ils n’ont pas perçu que leur incidence était hors limite et il est hors de doute que si cette indication leur avait été fournie, et c’est tellement facile avec l’avionique moderne, ils auraient ramené cette incidence en dessous des 6° de décrochage.
Le BEA partage cette idée et recommande l’installation d’indicateur d’incidence sur tous les avions.
02h 14 28 : Fin des enregistrements.
Les causes de l’accident à l’aide des Plaques de Reason
Un crash d’avion a pratiquement toujours plusieurs causes et celui du Rio-Paris ne fait pas exception. Pour évaluer la part relative et l’importance de ces causes, le moyen le plus scientifique qui a été trouvé est celui de l’analyse par les plaques de Reason.
James Reason est le créateur de cette méthode. C’est un expert mondial en facteurs humains, membre de la British Psychological Societey, de la Royal Aeronautical Academy et de la British Academy.
Comme vous allez le constater, avec l’analyse Reason, la part de chaque intervenant apparaît sans équivoque et si les pilotes ont leur part dans cet accident, ils ne sont pas les seuls.
Contrairement à la plupart des autres Bureaux d’Enquête Analyses étrangers, le BEA français se refuse à utiliser cette méthode.
Il part de l’événement final et reconstitue les causes qui l’ont favorisé.
Or, l’événement final est toujours du aux pilotes, puisque ce sont eux qui sont aux commandes! La méthode du BEA est donc très susceptible de conclure à une faute de pilotage et, surtout, plus on s’éloigne de l’événement, moins on est susceptible d’être mis en cause !
Plaque de Reason pour Airbus
1°) Réaction tardive aux cas de givrage des sondes Pitot
Airbus avait identifié 29 cas de givrage Pitot entre 2003 et le 1er juin 2009 :
- 26 sur sondes Thalès AA
- 2 sur sondes Thalès BA
- 1 sur sonde Goodrich
Alors que ces pertes de vitesses liées au givrage Pitot entraînaient des situations potentiellement très dangereuses, Airbus s’est contenté de recommander le changement des sondes Thalès AA sans fixer d’urgence.
Le 10 août 2009, après l’accident du Rio-Paris, Airbus et l’EASA éliminaient la sonde Pitot Thalès AA en urgence par la publication d’une « airworthiness directive » ce qui démontre que le défaut de cette sonde engendrait bien une « unsafe condition ».
Une publication sans atermoiement par AIRBUS d’une UNSAFE CONDITION concernant les sondes Pitot Thalès AA aurait entraîné leur remplacement et permis d’éviter cet accident
2°) Une loi « Alternate » des commandes de vol qui est un piège dangereux et qui devrait être éliminée des logiciels
Quand l’Airbus est en loi de commandes de vol « Normale », c’est un avion agréable à piloter et qui offre une excellente sécurité, malgré une interface pilote-systèmes déficiente.
Mais si par suite d’une panne de capteurs ou de calculateurs, les commandes passent en mode « Alternate » 1 ou 2, cet avion devient un piège dangereux qui n’amène aucun avantage de sécurité. Au contraire !
En Loi « Alternate 2», il n’y a plus de protection d’incidence et d’inclinaison, mais la fonction trim automatique reste active et on a vu que son fonctionnement était catastrophique.
Cette loi est un P.A.C comme le disait Bernard BLIER dans un film. On lui demanda ce que c’était et il répondit « C’est un piège à c……! ».
Il faut donc qu’Airbus ait le courage technologique de faire disparaître purement et simplement les lois de commandes « Alternate 1 et 2 » et ne laisser subsister que la loi de secours de commandes de vol « Directe ».
Dans cette solution « Directe », les mouvements des minimanches des pilotes commandent un braquage proportionnel des gouvernes et le trim de profondeur est utilisé manuellement.
Le Concorde a effectué tous ses vols pendant des décennies en Loi de commandes de vol « Directe » !
Et qu’on ne vienne pas dire que le passage d’une Loi « Normale » à une seule Loi « Directe » sur Airbus compromettrait la sécurité. Après les crashs de l’AF 447 et du vol XL de Perpignan, ce serait indécent.
En aviation comme ailleurs, l’adage « Le mieux est l’ennemi du bien » s’impose » !
3°) Installer in indicateur d’incidence sur tous les avions
L’absence de présentation claire de l’incidence aux pilotes a été un facteur déterminant de la confusion des pilotes et de leur non perception du décrochage.
En fonctionnement avec la Loi « Normale », il n’est pas nécessaire de faire apparaître la valeur de l’incidence, puisque la protection de celle-ci est active et qu’on ne risque donc pas de sortie du domaine de vol.
Mais si on quitte la Loi « Normale », il faudrait que l’incidence jaillisse en information sur le tableau de bord, d’une façon facile à lire et qui ne risque pas de passer inaperçue.
La technologie actuelle permettrait sans difficulté de faire apparaître la valeur de l’incidence de façon très visible.
Dès les années 60 un indicateur d’incidence existait sur les Mirage III, sous forme de trois lampes : « Verte », « Ambre » ou « Rouge ».
Les pilotes de chasse s’en trouvaient très bien pour apprécier les limites du décrochage sur l’aile délicate en DELTA du Mirage.
Le BEA a pris conscience de cette anomalie criarde de l’instrumentation du tableau de bord et recommande dans son rapport l’installation d’indicateurs d’incidence sur TOUS les avions de ligne
4°) Mouvements du Plan Horizontal Réglable sans information aux pilotes
En Loi «Normale », le fonctionnement du trim automatique ne pose pas de problème.
Mais en Loi Alternate, le maintien de ce trim automatqiue est une hérésie dangereuse, comme l’a montré cet accident, en aggravant une éventuelle erreur de pilotage.
Il y a donc lieu de supprimer ce trim automatique dans toutes les lois hors de celle « Normale »
5°) Non conjugaison des minimanches de commande des gouvernes
La conjugaison des manches aurait permis au deuxième pilote de mieux prendre conscience que son collègue avait une action continuelle à cabrer l’avion et l’aurait incité à agir sur les commandes, comme sur tous les autres types d’avions.
6°) Les manettes des gaz ne reflètent pas l’évolution de la poussée des moteurs
Sur les AIRBUS, la non conjugaison des manches et les manettes des gaz fixes dégradent l’interface pilote-avion et sont nuisibles à la sécurité des vols.
Plaque de Reason pour l’EASA ( Agence Européenne pour la Sécurité Aérienne)
1°) Refus de lancer le changement de sondes Pitot défaillantes
Malgré de nombreux incidents liés au givrage des sondes Pitot, dont certains graves, l’EASA affirme 3 mois avant le crash que « l’unsafe condition » n’est pas démontrée et qu’il convient d’attendre avant de diffuser une « Airworthiness Directive » pour exiger le changement des sondes.
Ce n’est qu’ après l’accident que l’EASA diffusera cette « Airworthiness Directive » en août 2009.
2°) Une certification des sondes Pitot qui tolère leur givrage !
Dans un « Safety Information Bulletin » publié le 28 juillet 2011, l’EASA informe les exploitants que les normes retenues pour la certification des avions en condition de givrage ne prennent pas en compte certains phénomènes comme les cristaux de glace ou les pluies verglaçantes.
De façon pratique, cela signifie que le dégivrage des sondes Pitot peut ne pas jouer son rôle protecteur dans toutes les conditions qui se présentent.
Imaginez que la notice de votre congélateur vous indique qu’il n’est pas certain que vous puissiez congeler votre poisson ! Ou que celle de votre four micro-ondes vous indique qu’il est possible que votre poisson ne puisse pas cuire suffisamment !
L’EASA n’a pas été à la hauteur des missions qui lui incombaient.
Plaque de Reason pour la DGAC
La DGAC demande à l’EASA la conduite à tenir vis à vis des incidents de Sondes Pitot.
L’EASA répond le 30 mars 2009 que la situation ne nécessite pas de rendre obligatoire un changement des sondes Pitot sur la flotte A330/A340. La DGAC décide de rester « solidaire » de l’EASA.
En septembre 2008, l’Office de Contrôle en Vol (OCV), dirigé par un pilote de ligne, demande à la DGAC la diffusion d’une consigne opérationnelle relative au défaut des sondes Pitot Thalès AA.
La DGAC ne donne pas suite.
La DGAC s’est montrée indécise, à la remorque de l’EASA et d’Airbus
Plaque de Reason pour le BEA
1°) Un rapport d’étape orienté essentiellement sur la mise en cause des pilotes et complaisant vis-à-vis des autres acteurs du drame
2°) Des incidents graves traités avec désinvolture
Malgré la recrudescence des événements liés au défaut des sondes Pitot Thalès AA en 2008, aucun des comptes rendus de Commandants de bord reçus par le BEA n’a fait l’objet d’une analyse.
Pourtant, ces documents sont des incidents graves au sens de la directive européenne 94/56/CE : « Pannes multiples de plusieurs systèmes de bord qui gênent fortement la conduite de l’avion ».
Le BEA avait l’obligation d’analyser ces incidents graves, d’émettre éventuellement des recommandations et de publier les rapports d’enquête.
3°) Une recommandation de sécurité sur l’alarme de décrochage censurée
A l’insu des pilotes enquêteurs, le BEA a retiré de son rapport d’étape N°3 une recommandation de sécurité qui demandait que l’alarme de décrochage fonctionne tant que ce décrochage n’était pas maîtrisé.
Ce manquement à la sécurité des vols futurs a été sanctionné par le retrait du Syndicat National des Pilotes de Ligne des travaux de la Commission d’Enquête
Plaque de Reason pour Air France
1°) Incidents de sondes Pitot non reportés au BEA
En 2008 et 2009, il y a eu 9 incidents de pertes de données de vitesse. En quasi-totalité sur des sondes Thalès AA. Il apparaît qu’il n’y a eu aucun report de ces incidents graves au BEA.
2°) Une formation de base des pilotes cadets ab-initio à reconsidérer
Dans l’après-guerre, les pilotes entrant à Air France étaient pratiquement tous des anciens pilotes militaires chevronnés.
En 1958 fut créée la filière « A » de l’ENAC qui permit une formation de jeunes pilotes d’excellente qualité, qui arrivaient sur les simulateurs d’Air France avec environ 350 heures de vol bien faites.
En 1988, les promotions de l’ENAC étaient squelettiques faute de moyens et nous manquions cruellement de pilotes. J’étais alors Pdt du Bureau Air France du SNPL et en coopération avec l’Inspecteur du PN d’Air France, j’ai proposé au Pdt Friedmann d’Air France de créer une filière « Cadets » ab-initio.
Ce fut fait et dans notre esprit, cela devait être une filière « A » Bis. Mais dans la pratique, leur formation de base de l’ordre de 200 heures de vol ne permet pas à ces jeunes gens d’acquérir les fondamentaux basiques que l’on enseigne aux pilotes ENAC.
Manifestement, les deux OPL de l’AF 447 avaient des lacunes importantes dans ces fondamentaux et il y a donc lieu des considérer que les économies faites par manque d’heures de vol formatrices seront largement dilapidées par les crashs qui résulteront de ce manque d’investissement.
3°) L’entraînement au simulateur au pilotage manuel en altitude et aux Procédures « IAS douteuses doit se faire en Loi de commandes de vol « Alternate » ou « Directe »
Avant l’accident du Rio-Paris, les pilotes n’avaient aucun entraînement au pilotage manuel à haute altitude et aucune expérience de vitesses douteuses en altitude.
Selon nos informations, des nouvelles séances de simulateur visent à donner cette expérience, mais en restant en Loi de commande « Normale », ce qui n’est pas figuratif d’une éventuelle situation en loi « Alternate ».
4°) La rigueur dans la pratique du métier de pilote doit être consolidée
En 1974, le SNPL a été le premier syndicat de pilotes au monde à proposer à la Direction une analyse systématique de tous les vols, de façon à déceler des accidents potentiels. L’esprit de ce protocole était d’en faire un outil de prévention des accidents, sans objectif de sanctions éventuelles. Mais le principe de celles-ci n’était pas exclu en cas d’indiscipline.
Il y a 4.270 pilotes à Air France et il est inévitable que sur ce nombre, il existe quelques personnalités « Border line », tentées de s’affranchir des règles de procédures qui conditionnent le « Safety first » qui doit être la finalité de tout le travail du pilote.
Il appartient à la Direction d’Air France de savoir prendre ses responsabilités pour que ces comportements cessent ou qu’à défaut, ils soient sanctionnés.
5°) Le suivi et l’appréciation de la sécurité des vols doivent être repensés
S’ajoutant à un nombre d’accidents récents indigne de son rang, le crash de l’AF 447 a provoqué un électrochoc bienfaisant au sein de la compagnie. Il y a aura un « avant » et un « après » de ce triste évènement.
Un audit externe mené en 2010 a révélé l’obsolescence et la complexité de la filière de la sécurité des vols. Des commissions correctrices sont à l’ouvrage, qui associent les syndicats de pilotes qui ont exigé d’être impliqués dans cette reconstruction.
Toutefois, il ne s’agit pas de cogestion et le management final doit être celui de la Direction de la compagnie.
Insuffisances des pilotes
- Les pilotes ont agi de façon contributive à l’accident par l’action à cabrer quasi continue sur la commande de profondeur par l’OPL droit (PF = pilote en fonction) qui a conduit l’avion à prendre 3000 pieds d’altitude en 50 secondes.
- L’indication de vitesse n’était plus exploitable, mais cela n’empêchait pas l’avion de voler normalement.Il suffisait de garder la poussée des moteurs à sa valeur de croisière et de maintenir l’assiette de l’avion à sa position normale et les ailes horizontales.
- Les pilotes n’ont tenu aucun compte de l’alarme sonore « Stall- Stall » ni du signal « Cricket » indiquant le décrochage qui a retenti 75 fois jusqu’à l’impact .
- Ils n’ont à aucun moment identifié une situation de décrochage.
- Le PNF n’a pas été assez directif pour le maintien de l’assiette et de l’altitude.
A la décharge des pilotes
- Loi de commande de vol « Alternate » qui un piège scélérat, notamment par le maintien aberrant du trim automatique.
- Pas d’expérience en pilotage manuel au simulateur à haute altitude
- Pas d’entraînement au simulateur en IAS douteuse à haute altitude
- Pas de présentation de la valeur de l’incidence de façon directe, qui aurait permis aux pilotes d’identifier aisément un décrochage
- Une charge de travail et une grande quantité d’informations contradictoires qui ont perturbé leur jugement
- L’anomalie de conception du système d’alarme de décrochage qui s’arrête de fonctionner quand la vitesse ou l’incidence sont invalides, alors que l’avion est toujours en situation de décrochage
- Pas de conjugaison des manches de commandes des gouvernes de vol ni de mouvement des manettes des gaz en fonction des variations de poussée
Conclusion
Comme le montre l’analyse de la part prise par les divers intervenants qui ont contribué à créer ces fameux trous dans le système des plaques de Reason, l’accident du Rio Paris ne doit rien à la fatalité et tout aux multiples insuffisances :
- Des fabricants d’avions ou d’équipements
- De diverses Administrations aéronautiques
- De la direction d’Air France
- Des pilotes
Les conclusions finales de la Commission d’enquête du BEA attendues pour 2012 devront pointer du doigt la part de chacun, pour que soit respectée la doctrine de l’OACI :
Le but de l’enquête n’est pas d’établir des fautes ou des responsabilités individuelles ou collectives
L’objectif est de tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs accidents
Pour ma part, j’aimerais que le rapport final du BEA reflète la même indépendance que celle que j’ai constatée aux États-Unis où le NTSB (National Transport Safety Board) mena une lutte homérique des années durant contre le constructeur national Boeing, pour lui faire admettre une erreur de conception de la servocommande de direction du B 737 qui avait abouti au crash de plusieurs d’entre eux !
Christian ROGER
Vous pouvez télécharger le rapport en pdf ICI
Tout cela est très complexe.
Je ne suis pas pilote et j’ai simplement appris les notions de portance et de centrage en faisant de l’aéromodélisme.
Par ailleurs j’ai été météo militaire air.
La déclaration du cdb : « on ne va pas se laiser emmer… par des cunimb » me sidère et vouloir passer au dessus de l’enclume d’un cumulonimbus dans la zone du « pot au noir » ou la tropopause est à 15000 mètres est totalement insensé!
Tous les vols au même endroit et à un moment comparable ont déviés pour les éviter.
Par aileurs si l’horizon artificiel et l’altimètre fonctionnaient, lorsque l’on est « à cabrer » c’est obligatoirement pour monter alors si l’altimètre se dévidait en descente… pour moi c’est qu’on ne vole plus on tombe en feuille morte sans aucune portance.
Quel terrible drame!
Par ailleurs vos recommandations techniques me semblent très pertnentes.