Questions / réponses de Jean Belotti
Question : Le fait que le lendemain de la panne d’un moteur survenue sur l’A380 à Singapour une nouvelle panne ait été annoncée, cette fois sur un B747, ne signifie-t-il pas qu’il y a vraiment un grave défaut sur les moteurs Rolls-Royce -Trent 900, alors que c’est l’image de marque d’Airbus qui est dégradée ?
Réponse : Dans l’hypothèse ou une grave défaillance est constatée sur un moteur – à partir, par exemple, d’un certain nombre d’heures de fonctionnement – il est fort probable qu’elle survienne également sur la même série de moteurs, à des intervalles plus ou moins espacés.
Les faits montrent que, malgré les multiples tests auxquels sont soumis les moteurs afin d’être officiellement certifiés – que ce soit ceux de Rolls-Royce ou des autres géants des motoristes que sont General Electric et Pratt &Witney pour les américains et Safran pour le français – ce genre de panne peut effectivement se produire.
Si tel est le cas, il appartient alors au motoriste de prendre d’urgence les dispositions qui garantiront son non renouvellement. Cela peut aller d’une simple consigne d’utilisation provisoire (réduction de la poussée au décollage, voire limitation de la masse au décollage,…), au remplacement de la pièce incriminée, jusqu’au remplacement du moteur, solution la plus sûre, mais, bien évidemment, la plus coûteuse.
Quant à la responsabilité d’Airbus, il est bon de savoir :
– que le moteur concerné est certifié indépendamment de l’avion ;
– qu’il s’agit d’un “Bayer Furnischer Equipment” (BFE), ce qui signifie que le moteur est choisi et acheté directement par la compagnie.
Ces précisions étant bien connues des acheteurs, ils ne modifieront pas leur comportement vis à vis d’Airbus puisqu’ayant déjà livré une quarantaine d’A380, cet avionneur européen a aussi enregistré plus de 200 commandes auprès de 17 compagnies. En fait, seul l’image de marque auprès du grand public peut avoir été provisoirement écorchée, par ce grave incident.
Quant à Rolls-Royce, étant actuellement le seul motoriste du futur LC A350XWB d’Airbus, il ne manquera probablement pas de redorer son image de marque en prenant la bonne décision qui rassurera tout le monde sur la fiabilité de ses moteurs.
Question : Les députés français viennent de voter une proposition de loi du groupe socialiste obligeant les compagnies aériennes à risque à informer clairement les passagers de leur présence sur la fameuse liste noire Que pensez-vous ?
Réponse : Le texte prévoit que toute personne physique ou morale commercialisant un titre de transport sur les vols d’un transporteur qui figurant sur la liste noire de l’Union Européenne doit informer explicitement le passager de cette situation ainsi que des solutions de transport de remplacement.De plus, le texte prévoit une amende de 7.500 _ par titre de transport, doublée en cas de récidive, de poursuites pénales pouvant être engagées, du fait de violation de la loi.
Ainsi, le texte renforce le devoir d’information des compagnies aériennes, mais aussi celui des agences de voyages, en augmentant leur responsabilité.
Est-ce effectivement « un petit pas dans la bonne direction dont on aurait tort de se priver » comme la déclaré le secrétaire d’Etat aux Transports ?
Question : Dans votre chronique de janvier 2010 vous annonciez la présentation de la maquette du futur C919, au salon aéronautique chinois. Aujourd’hui, on apprend et que cet avion aurait déjà fait l’objet d’une commande de 100 exemplaires. Est-ce une concurrence sérieuse qu’Airbus A320 et Boeing 737 auront à affronter ?
Réponse : L’essentiel des conséquences de l’émergence d’un constructeur chinois a été présenté longuement dans ma chronique de mai 2009. Au sujet de cette commande, elle provient des quatre principales compagnies aériennes chinoises (Air Chfinina, China Eastern, China Southern, Hainan Airlines) et de deux sociétés de leasing (“Guoyin Financial”, chinoise et “GE Capital Aviation Service”, américaine). Il ne s’agit donc pas de commandes en provenance de compagnies d’autres États.
Quant à la déclaration selon laquelle Air France et KLM n’excluait pas d’acheter chinois ou russe, elle n’est pas à prendre à la lettre, pour les raisons suivantes :
– d’une part, la première livraison du C919, n’est prévue qu’en 2016 ;
– et d’autre part, la production annuelle ne sera que d’une quarantaine d’exemplaires, alors que le marché chinois en aurait besoin de deux cents, nous dit-on.
Il en résulte que même si la Chine livrait quelques-uns de ses appareils à des compagnies étrangères, il n’en reste pas moins que l’essentiel de sa production sera réservé à la demande interne. C’est donc bien Airbus et Boeing qui répondent déjà, et répondront pendant encore de nombreuses années, à la demande chinoise, ceci de différentes manières (transferts technologiques et de “kow how” (savoir-faire)), tout en plaçant leurs modèles dans un pays qui, dans les vingt prochaines années, aura besoin de 30.000 appareils !
De toute façon l’industrie aéronautique chinoise, elles aussi, a recours à de très nombreux de sous-traitants. C’est ainsi que, par exemple, une quinzaine de fournisseurs américains et européens participent à ce programme (les français Safran (200 moteurs) et Turbomeca (170 turbomoteurs) ; les américains General Electric (moteur CF34-10A) ; Rockwell Collins (avionique) ; Hamilton Sundstrand (climatisation) ; l’allemand Liebherr Aerospace (trains d’atterrissage)). De plus, au fil des ans, Airbus et Boeing mettront au point de nombreuses innovations et présenteront des avions “nouvelle génération” dès la fin de la décennie, nous prédisent les analystes.
Alors, la construction aéronautique chinoise est-elle une menace pour Airbus et Boeing, comme annoncée par les médias ? La prise en compte de tous les éléments conduit à infirmer son existence.
Question : Air France a annoncé réduire le nombre de sièges des classes première et affaire. Qu’en pensez-vous ?
Réponse : Une comparaison des deux cas d’école, présentés, ci-après permet une première conclusion sur l’utilité d’une telle décision :
==> 1er cas : La compagnie maintient la répartition actuelles des classes.
* Données : Sur un vol, la classe touriste est pleine et trois demandes de billets dans cette classe n’ont pu être acceptés. Il y a trois sièges en classe affaire non occupés.
* Conséquences :
– soit, la compagnie perd la recette de trois sièges touristes (évaluée à P =1) ;
– soit, elle ne perd rien, vendant les trois billets touristes et en surclassant les trois touristes en classe affaire (P= 0).
==> 2ième cas : La compagnie supprime trois sièges “affaires” au profit de six sièges “touristes”.
* Données : Sur un vol, la classe affaire est pleine et trois demandes de billets dans cette classe n’ont pu être acceptés. La cabine touriste est pleine, les 6 sièges supplémentaires ayant été vendus.
* Conséquences :
– Les clients se sont adressés à un concurrent et la compagnie perd alors la recette de trois sièges affaire, moins celle de 6 sièges touriste (P=2) ;
==> Conclusion :
Etant donné que P2 > P1 > P0, conserver la répartition actuelle, même s’il y a un remplissage insuffisant en classe affaires ne coûtera à la compagnie que (P1), alors qu’en réduisant le nombre de sièges en classe affaire, il lui en coûtera beaucoup plus (P2).
Cela étant, la compagnie a certainement de bonnes raisons de prendre une telle décision qu’elle explique par le fait que, devant s’adapter aux comportements de voyages, modifiés par la crise :
– elle entend augmenter ses capacités mesurées en sièges kilomètres transportés (SKO) de 4 % par an en moyenne entre 2010 et 2013, dont 5 % en long-courrier et 6,5 % vers les zones en développement, en Asie (hors Japon), en Amérique latine et en Afrique.
– la densification des avions en classe touriste permettra de réduire les coûts unitaires, par rapport à ceux des classes supérieures ;
– de toute façon, l’offre restera comparable, car la proportion de sièges “Première” et “Affaires” ira en augmentant fortement au fur et à mesure de l’arrivée des A380.