24 novembre 2024
Pierre-Henri Gourgeon

Pierre-Henri Gourgeon PDG Air France © DR

Interview de P-H Gougeon

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Pierre-Henri Gourgeon
Pierre-Henri Gourgeon PDG Air France © DR

Dans une interview à La Tribune, Pierre-Henri Gourgeon, le DG d’Air France-KLM, dénonce le chantage exercé par les Emirats Arabes Unis qui, pour acheter le Rafale, exigent qu’Emirates et Etihad obtiennent de nouveaux droits de trafic aérien vers la France. Il évoque ses commandes d’avions en soulignant qu’Air France et KLM n’exclut pas d’acheter chinois ou russe. Et il détaille son projet de création de bases en province qui va de pair avec de nouveaux contrats de travail pour le personnel de bord qui ne sera plus payé à l’heure de vol mais à la journée.

Après des pertes de plus d’un milliard d’euros en 2009-2010, comment analysez-vous les résultats financiers du deuxième trimestre et du premier semestre de l’exercice 2010-2011.

Nos résultats sont très bons. Les choses vont nettement mieux dans le transport aérien. Le redressement du secteur a été plus rapide qu’anticipé. A partir du dernier trimestre 2009 les acteurs économiques commencent à retrouver des repères. On l’a vu dans le cargo, à partir d’octobre 2009. S’agissant du passage, à partir de mars 2010, les passagers professionnels sont revenus même s’ils ont des comportements différents. Ceci se traduit dans les résultats.

Air France-KLM a dégagé un résultat opérationnel de 576 millions d’euros au deuxième trimestre, alors qu’il était négatif l’an dernier. L’amélioration sur le trimestre est de 623 millions d’euros. Au premier semestre, l’amélioration est proche du milliard d’euros. Et encore, il y a eu l’effet négatif des perturbations liées au volcan islandais en avril. Au premier semestre de l’année dernière, pour de tas de raisons liées notamment à l’impact négatif des couvertures carburant, Air France-KLM avait chuté plus fortement que ses concurrents.

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Cette fois-ci, nous revenons à des chiffres qui sont comparables à ceux de Lufthansa ou British Airways. La variation est plus brutale chez nous que chez les autres. On rejoint le peloton. Le résultat net est excellent puisqu’il s’élève à 1,03 milliard d’euros au premier semestre, grâce notamment à la plus-value réalisée lors de l’introduction en bourse d’Amadeus. Ceci malgré l’amende cargo infligée par Bruxelles, qui nous oblige à passer une provision supplémentaire de 127 millions d’euros. Nous serons donc à un résultat net positif sur l’année. Si on enlève les éléments exceptionnels, le résultat net retraité serait de 104 millions. Le résultat d’exploitation ajusté est à 649 et 585 sur le semestre.

Etes-vous toujours pénalisé par les couvertures carburant ?

L’an dernier, les résultats d’Air France-KLM ont été écrasés par ces couvertures. Elles représentaient la moitié des pertes. Cette année, c’est moins fort. Sur le semestre, nous avons encore une pénalisation des couvertures de 300 millions de dollars, contre 600 millions lors du premier semestre de l’exercice 2009-2010. L’une des conséquences est que nous dégageons un free cash flow positif.

La situation financière ne se dégrade pas, nous payons nos investissements, nous réduisons notre dette qui avait tendance à augmenter. Notre gearing (le ratio entre la dette et les fonds propres) se situe à 0,92. Nos fonds propres sont donc supérieurs à notre dette nette.

Comment expliquez-vous ces résultats ?

Nous bénéficions de deux effets.Tout d’abord, comme tout le monde, Air France-KLM profite d’un retour de la demande plus rapide et plus fort que ce que nous prévoyions en avril. Nous récoltons ensuite les fruits de toutes les mesures que nous avons engagées pendant la crise : une restructuration lourde du cargo avec une forte adaptation des capacités et une réforme profonde du moyen-courrier.

Je me souviens que ces annonces avaient, en leur temps, été accueillies avec un certain scepticisme. Et pourtant, les résultats sont là : le cargo, qui a perdu 436 millions l’an dernier, sera positif en termes de résultat d’exploitation, alors qu’initialement, on pensait seulement diviser par deux nos pertes.

Quelles sont vos perspectives ?

Pour l’ensemble de l’exercice, le consensus des analystes allait d’une perte opérationnelle de 156 millions d’euros à un bénéfice de 297 millions d’euros. Notre objectif dépasse la borne haute de ce consensus, soit un résultat opérationnel supérieurà 300 millions d’euros. Hors effet du volcan en avril et des couvertures carburant qui cumulés pèsent 450 millions d’euros, le résultat serait de l’ordre de 750 millions.

Ce n’est certes pas notre meilleure année mais c’est une bonne performance. A trois ans, l’objectif est de réduire les coûts unitaires de 3% à prix du carburant et changes constants, d’atteindre une marge opérationnelle ajustée de plus de 7% et un ratio d’endettement de 0,5 au 31 mars 2014 pour dégager, à cet horizon, un retour sur les capitaux employés de 8%.

La crise est-elle terminée ?

Pas totalement. Ce qui est terminé en revanche, c’est l’effet de punition qui a frappé le transport aérien. L’économie n’est pas revenue à son niveau d’avant crise, mais nous nous sommes adaptés. A l’été 2007, nous comptions croître de plus de 5% par an en 2008, 2009 et 2010. Aujourd’hui, nous sommes plutôt à 4 ou 5% en dessous de notre production en 2008.

L’année prochaine, ce retard sera comblé. On entrera dans une phase de croissance, qui ira en s’accentuant. En 2011, notre production en sièges kilomètres offerts (SKO) sera légèrement au dessus de celle de l’été 2008. Il y aura donc eu trois ans de parenthèse, l’équivalent d’une perte de croissance potentielle de 10 à 15% sur le long-courrier. C’est considérable.

Quels seront les marchés en croissance ?

Notre activité est tirée par le long-courrier et je m’attends à un cycle positif et durable sur le développement de ce segment. La Chine, l’Inde, l’Amérique latine sont en forte croissance, l’Afrique aussi, et cela semble destiné à durer. Notre force est d’être le plus gros opérateur mondial long-courrier. Notre réseau long-courrier, alimenté par notre réseau moyen-courrier, constitue un avantage compétitif. Il est plus puissant que celui de nos deux concurrents européens, le groupe Lufthansa et British Airways-Iberia.

Pour autant les comportements de voyages sont-ils les mêmes qu’avant crise ?

Pas tout à fait. Concernant la recette unitaire long-courrier, nous sommes en retrait en classe avant (Première et Affaires) quand nous sommes au dessus en classe économique. Nous pouvons vivre avec cela. L’important, c’est d’être capables de fonctionner dans la situation actuelle. Elle changera peut être à l’avenir. Nous avons de la flexibilité pour modifier la configuration de nos avions dans la répartition des classes de services. Jusqu’à douze mois avant la livraison, nous pouvons l’ajuster.

Et sur le moyen courrier ?

Sur le moyen-courrier, nous étions en dehors du marché avec un produit trop haut de gamme, coûteux, ne correspondant plus vraiment aux attentes de nos clients. Nous avons essayé de modifier notre équation commerciale et notre produit en lançant une nouvelle offre (« NEO ») en avril. Les résultats sont là. L’objectif d’amélioration du résultat de 500 millions d’euros sera atteint en 2011-2012, dont une bonne part cette année.

Pour autant, il reste un problème : le coût de notre activité est relativement élevé et on ne sait pas suffisamment résister sur le point-à-point face aux low-cost qui nous font concurrence aux conditions du pays d’origine et face au TGV. Ce qui nous conduits à réduire la voilure. La seule façon de mettre fin à cette érosion chronique de notre activité est de trouver un modèle, non pas de service, mais de production pour baisser nos coûts. Il n’a jamais été question de passer à un produit low-cost, auquel cas nous développerions notre low-cost Transavia.

Notre souci, c’est d’améliorer Air France et continuer à offrir le produit Air France. Mais pour cela, nous devons être capables, comme les low-cost, d’augmenter fortement notre production en sièges et d’abaisser suffisamment les coûts. C’est ainsi que nous ré-attaquerons ces marchés. C’est le pari que nous prenons avec ce projet de bases de province, à Nice, Marseille, Toulouse et Bordeaux.

Les accords avec les navigants vous permettent-ils de le faire ?

Les règles de rémunération à l’heure de vols des navigants sont un élément handicapant. Les règles actuelles sont telles que s’ils font plus d’heures de vols, ils atteignent des rémunérations qui absorbent les bénéfices obtenus par une hausse de la production. Les navigants assurent moins de 600 heures de vol par an sur le moyen-courrier. En outre, l’organisation de la production est réalisée historiquement au départ de Paris. C’est inscrit dans leur contrat. Mais il s’avère que de nombreux navigants habitent en province et viennent à Paris pour prendre leur séquence de 4 à 5 jours de mission à travers l’Europe.

Nous allons essayer de faire en sorte que ces personnels puissent se porter volontaires pour un nouveau fonctionnement dans lequel les déplacements pour partir ou revenir chez soi deviennent productifs. Les navigants économiseront beaucoup de temps par mois et en contrepartie on leur demandera un plus grand nombre d’heures de vols. A raison de 6 heures par jour, ils feront un total d’heures plus élevées, mais en moins de jours qu’il leur fallait pour faire moins d’heures de vols. Pour certains, c’est une amélioration considérable. D’autres, n’y trouveront pas forcément leur intérêt. C’est pourquoi, nous comptons faire appel au volontariat, qui est le principe de base de cette réforme.

Quel est le gain pour Air France ?

Aucun sur les coûts fixes qui représentent la moitié des coûts (carburant, redevances, maintenance). Mais beaucoup sur les coûts variables. Au total, nous tablons sur une baisse des coûts de 15%. Si les coûts diminuent, nous pouvons ouvrir un nombre important de lignes au départ de ces bases qui auront plutôt une connotation touristique, de point-à-point, vers l’Europe, vers d’autres villes françaises, dont Paris-Orly, peut-être vers le Maghreb. C’est une logique de reconquête du marché de point-à-point. Autant de routes impossibles à ouvrir avec nos coûts actuels.

En baissant notre objectif de revenus que nous autorise une baisse de coûts, nous trouverons suffisamment de routes pour augmenter notre production et ajouter deux avions par base de province. Soit 8 avions supplémentaires sur quatre bases, alors qu’aujourd’hui la tendance est à la baisse du nombre d’avions moyen-courrier.

Et cela se traduira par une baisse des coûts ?

Oui. Tout d’abord parce que la rémunération des navigants sera plus orientée vers la production d’un nombre de jours lesquels seront plus chargés qu’aujourd’hui. Mais aussi parce qu’au niveau du personnel au sol, les coûts unitaires vont s’améliorer car l’activité des avions sera supérieure. Il n’y aura pas de creux dans la journée comme aujourd’hui où le coût du personnel ne peut pas s’amortir.

Quel est le calendrier prévu pour cette nouvelle organisation ?

Au début de l’année, les programmes de vols seront finalisés. La mise en œuvre prévue en juin pour la première escale. Les trois autres suivront d’ici à mars 2012. Ramenée à la totalité de la production moyen-courrier, cette opération qui ne concerne qu’une quarantaine d’avions entraînera une croissance sensible de l’ensemble de l’activité.

Que prévoyez-vous pour Regional et Britair, vos filiales régionales en difficulté ?
Bien évidemment, si nous devions faire assurer des lignes de nos filiales par la maison-mère, nous veillerons à trouver des solutions d’équilibrage. L’un des modèles de base des compagnies régionales est d’alimenter le hub, un schéma moyen-courrier classique attaché au long-courrier. Quant à la question du point-à-point, du hub de Lyon, nous en parlerons avec les compagnies régionales pour voir comment on traite tous ces effets.

Depuis des années vous multipliez les attaques contre les compagnies du Golfe Emirates, Etihad. Pourquoi cette concurrence vous gêne-t-elle tant ?

En commandant 90 Airbus A380, Emirates a donné la dimension de ses ambitions. Cette commande est deux fois plus importante que celles cumulées des groupes British Airways, Lufthansa et Air France-KLM, qui sont les trois premiers sur le trafic international. Aucune autre compagnie n’est capable de passer une commande pareille. D’abord parce qu’elle n’a pas le trafic et surtout parce qu’elle n’en a pas les moyens financiers.

Emirates comme Etihad le peuvent parce qu’elles sont des compagnies publiques appartenant à des Etat riches. L’attaque est donc frontale. L’ambition des compagnies du Golfe est de créer un pôle mondial de connexions qui permettra de construire un pôle mondial de tourisme et de commerce en captant inévitablement une part de l’activité qui se fait en Europe. Cela se fera au détriment des compagnies européennes mais aussi des citoyens européens. Et au premier chef de ceux des pays concernés, comme la France.

Le réseau aérien est un outil qui sert l’économie d’un pays. C’est d’ailleurs ce qu’ont bien compris les Emirats. Si les transporteurs européens perdent des parts de marché significatives, ils réduiront leurs fréquences qui relient l’Europe au reste du monde. Peut-on prendre le risque de voir des entreprises dont le rayonnement est mondial et qui cherchent le meilleur emplacement pour implanter une activité financière ou commerciale s’installer dans les Emirats plutôt qu’à Londres ou à Paris ?
Mais c’est le jeu de la libre concurrence ?

Nous évoluons dans un monde libéralisé et chacun joue sa carte. Mais ces compagnies n’ont pas à supporter les mêmes charges que les nôtres. Les mots « charges sociales », « impôts », « taxes » sont inconnus dans les Emirats. Ces entreprises ne payent pas de redevances de trafic aérien alors que toute l’Europe finance son contrôle par des redevances qui représentent des centaines de millions d’euros pour Air France-KLM. Les aéroports des Emirats ne cherchent même pas à couvrir leurs coûts. Celui de Dubai est 7 fois moins cher que Roissy…

Que suggérez-vous pour remédier à cela ?

Les gouvernements européens reçoivent des demandes de droits de trafic, ils sont en droit de s’interroger pour savoir si la concurrence proposée se fait à armes égales ou pas. Entre les Etats-Unis et l’Europe, les systèmes sont différents mais ils fonctionnent de manière équilibrée. Personne ne dit en Amérique du Nord que les compagnies européennes sont favorisées par rapport aux américaines et vice-versa. Il y a des différences, mais pas de cette ampleur.

Des deux côtés de l’Atlantique, nos entreprises gagnent au mieux 6 à 7%. L’écart lié aux conditions dont bénéficient Emirates représente, pour Air France-KLM, 3,5 milliards d’euros pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 25 milliards avant la crise. Cela veut dire qu’en termes de marge, on est presque à 15% d’écart. Si on avait cet avantage, on pourrait soit gagner 4 milliards d’euros de plus par an, soit utiliser cette cagnotte pour baisser les prix, pour faire de la croisssance, acheter des avions…

Mais que demandez-vous donc ?

Nous demandons que les droits de trafic ne soient plus accordés à ces compagnies tant qu’elles disposent d’un avantage concurrentiel inacceptable qui relève à nos yeux de la distorsion de concurrence. Cela d’autant plus que le marché des Emirats représente, pour nous, 8 millions d’habitants alors qu’ils visent, eux, 500 millions d’habitants européens.

Vous savez très bien que les Emirats incluent les droits de trafic dans une négociation globale avec les Etats et, dans le cas de la France, le Rafale de Dassault Aviation a été mis en balance.

Cela n’a aucun sens de lier des sujets qui n’ont rien à voir entre eux et ce serait même inconvenant de le faire. Je ne suis pas chargé des opérations de Dassault. Je ne parle que d’un seul sujet. Est-ce que l’Europe veut devenir le cul de sac de lignes venant des Emirats et ne plus avoir de lignes reliées puissamment au reste du monde ? Ou bien est-ce que l’Europe est capable de comprendre et de choisir ses intérêts comme le font les Emirats ? Ces Etats estiment que développer le transport aérien est une source de richesse pas seulement pour leurs compagnies et que cela justifie des investissements énormes dans ce secteur.

Les droits de trafic ne doivent pas être monnayés contre ceci ou cela mais seulement en tenant compte des intérêts du secteur aérien. Par ailleurs, je tiens à souligner qu’Air France emploie 65 000 salariés en France et que les droits de trafic octroyés ont une incidence sur ces emplois.

Le secteur de l’armement est important aussi pour notre pays, non ?
La fabrication d’un avion et d’un équipement assure des emplois pendant la période de la fabrication. Les droits de trafic ont un effet sur des emplois durables, sans limite de temps. Je serai très respectueux de la décision des autorités françaises. Je fais simplement valoir le fait que nous représentons une activité économique importante. Certes les Emirats ne menace que 20% de notre activité, mais cela est suffisant pour affaiblir non seulement Air France-KLM mais aussi BA-Iberia et Lufthansa-Swiss…

Votre remarque sur le Rafale tient-elle pour Airbus ?

Oui. Les Airbus A380 sont d’excellents avions. Mais les Emirats en auront besoin quelles que soient les décisions prises pour les droits de trafic. Mélanger droits de trafic à d’autres sujets pose, à mon sens, de réelles questions de souveraineté et n’est pas acceptable sur le plan des règles du commerce international.

Y a-t-il en fait une réponse structurelle face aux compagnies du Golfe?
Il ne suffit pas en effet de se plaindre et dire aux autorités européennes ou françaises « protégez-moi ». Cela serait une attitude protectionniste. Nous avons de sérieux atouts à faire valoir. Notamment notre présence historique sur les grands marchés et la façon dont nous les connectons. Prenons la France et la Chine par exemple.

Si les compagnies du Golfe veulent vendre en France, nous pouvons résister avec notre programme de fidélisation, nos contrats avec les entreprises, notre puissance en Europe où nous représentons plus de 30% du marché long-courrier réalisé par les compagnies européennes. En Chine, nous pouvons compter sur nos quatre alliés dans SkyTeam, China Southern, China Eastern, Shanghai Airlines et China Airlines qui représentent 40 à 45% du transport aérien chinois. Dans un système de partages de coûts et de recettes sur un programme de vols coordonné avec beaucoup de routes entre la France et la Chine (appelé joint-venture dans le secteur), nous pourrons ainsi essayer de résister aux compagnies du Golfe. Nous assurons en commun 5 à 6 routes entre la France et la Chine. Nous passerons à 8 ou 9 d’ici à la fin de l’année 2011 et un nombre beaucoup plus élevé encore dans 5 ans.

Et en Inde ?

L’idée est la même : avoir un partenaire pour faire plus de routes. Nous cherchons un partenaire à qui nous apportons le marché européen -et éventuellement américain avec Delta- et qui nous apporterait, lui, le marché indien. Nous recherchons un partenaire avec qui on peut développer des logiques de partenariats contre les compagnies du Golfe. Nous espérons annoncer une bonne nouvelle prochainement.

Et au Moyen-Orient ?

La compagnie libanaise Middle East Airlines (MEA) a annoncé son intention d’entrer dans Skyteam. Une autre du Moyen-orient va suivre également.

Vos attaques contre les compagnies du Golfe semblent donc exagérées ?

Non, si nous sommes attaqués violemment par des avions de 600 sièges qui viennent se poser tous les jours en Europe, nous aurons beau multiplier les efforts, le déséquilibre entre nos hubs européens et le hub de Dubai ne fera que s’aggraver.

La suspension des essais en vol du 787 contrarie t-elle votre projet de commander une centaine de long-courriers de moyenne capacité de typeB787 ou A350 ?
Nous sommes en contact permanent avec les avionneurs et nous tenons au courant des évolutions des deux programmes. Il est évident que nous avons besoin de remplacer des avions. En 2007, nous pensions le faire en 2008/2009, puis la crise a reculé de trois ans notre croissance et donc nos besoins. Dans le même temps, les programmes ont perdu trois ans.

Nous avons pris tellement de retard dans la croissance du transport aérien et dans la réalisation de ces avions que nous ne sommes plus à trois mois près. Si ces sujets là qui se produisent sur tel ou tel avion posent des questions qui conduisent à revoir les délais de livraison, on saura s’adapter. Cela ne remet pas en cause les principes. Je ne peux pas dire quand on aboutira.

A quel horizon évaluez-vous vos premiers besoins ?

On vient de prendre une décision depuis début 2009 sur le rythme de remplacement de nos avions. Nous étions partis sur une version très dynamique liée aux bénéfices des couvertures carburant. Cette stratégie de rajeunissement de notre flotte a été payante : nous avons la flotte la plus jeune d’Europe. Avec un baril à 150 dollars, nous avions intérêt à acheter des avions moins gourmands en kérosène. A 90 dollars, c’est moins le cas. Mais rien ne nous empêche de prolonger la durée de vie de nos avions, à l’image de ce que peuvent faire les compagnies américaines.

Nous avons donc décidé de garder des avions plus longtemps et d’économiser en investissement. Nous allons maintenir jusqu’en 2016 neuf Boeing 747 dans la flotte d’Air France. Ce sera une source d’économies substantielles. Dans les années qui viennent, nous nous allons dégager quelques milliards d’euros de free cash flow positif, ce qui permettra de réduire notre dette. Il sera alors temps de nous consacrer à nouveau au rajeunissement de notre flotte.

Et pour ce qui est du moyen courrier. Qu’attendez-vous de la remotorisation des Airbus ?

Ce qui compte, c’est l’économie qu’on peut escompter d’une innovation. Nous aimerions savoir ce que la nouvelle motorisation peut nous rapporter pour l’avion complet. 15% d’économies sur le moteur c’est bien, mais si ce dernier est à la fois plus lourd et plus gros, cela suppose notamment une modification des ailes de l’avion voire du train d’atterrissage.

Donc il nous faut savoir si un cet avion plus lourd et plus volumineux ne va pas au final consommer presque autant que son prédécesseur. Si c’est le cas, il s’agira simplement d’un modèle de nouvelle génération que nous achèterons pour remplacer nos avions en fin de vie, c’est-à-dire au bout de 25 ou 30 ans. Mais si on nous prouve qu’il va vraiment réduire de 15 à 20% nos coûts d’exploitation, leur remplacement pourra être plus précoce. Le calcul est assez simple. Par ailleurs, rien ne nous empêche de voir ce que proposent les concurrents.

Y compris russes ou chinois ?

On regardera ce qu’ils proposent, c’est toujours intéressant d’avoir plus de choix.

Comment voyez-vous évoluer la consolidation du secteur aérien ? British Airways se dit prêt à des acquisitions. Le nouveau nom de la holding traduit d’ailleurs bien cette volonté…

Sur ce point sémantique précis, ils ont pris un avantage compétitif certain (sourires). Sérieusement, ce métier est trop dispersé. Dans la construction aérienne, il y a deux grands compétiteurs et deux petits, mais il existe des dizaines de compagnies aériennes importantes. La réponse est la consolidation.Il y a, en Europe, trois grandes compagnies qui, dans le long courrier, se partagent 82% du marché : Air France KLM (34%) British Airways avec Iberia (25%) et le groupe Lufthansa avec notamment Swiss et Austrian (23%). Cette consolidation va se poursuivre. TAP, SAS, Virgin peuvent intégrer des groupes. Air France a déjà 25% d’Alitalia.

La consolidation est un facteur d’amélioration et de stabilisation de cette industrie qui a tant de mal à gagner de l’argent. Elle permet d’éviter les comportements suicidaires. N’oubliez pas que dans notre secteur, le dumping n’existe pas. On a le droit de proposer des billets gratuits. Ryanair l’a fait. Et dans tous les cas, une compagnie qui coule n’hésitera pas à commercialiser des billets à moitié du prix qu’il coûte. Car il vaudra mieux pour elle le vendre à ce prix que de laisser des sièges vides dans ses avions. Mais en faisant cela, elle entraîne les autres dans une spirale suicidaire. Plus le secteur sera concentré, moins ce risque sera grand.

Aux Etats-Unis, la consolidation a aussi permis de faire émerger trois grands ensembles : Continental-United Airlines, American Airlines et Delta-Nothwest, notre allié. Cette consolidation a permis de réduire les capacités entre l’Europe et les Etats-Unis. On peut penser que sur le marché de l’Atlantique Nord on aura désormais moins d’instabilité. Et notre joint-venture intégrée unique en son genre avec Delta nous permettra d’en profiter à plein.

Vous ne voyez pas l’intérêt d’aller plus loin ?

Nous avons construit une entreprise commune avec Delta. L’intérêt d’en faire plus est faible. Nous ne sommes pas en concurrence avec Delta sur son réseau domestique. Ils nous apportent la puissance de ce réseau pour alimenter notre hub de Roissy et vice versa. Quelles économies pourrait-on faire si on allait plus loin dans cette consolidation ? Une réduction de nos coûts informatiques ? Sans doute mais cela ne représenterait pas grand-chose. Acheter des avions ensemble ? On peut déjà le faire dans le cadre de l’alliance SkyTeam. Il est d’ailleurs prévu qu’on lance des programmes d’achat commun dans ce cadre.

Et si les barrières sautaient et vous permettaient des prises de participations ?

Les dirigeants des grands ensembles déjà constitués se poseraient alors la question du bien fondé d’une éventuelle prise de participation. Dans ce cadre, il n’est pas choquant que British Airways envisage la question d’une fusion avec American Airlines puisque les deux compagnies veulent d’ores et déjà lier leur destin.

Que faites-vous de la logique de souveraineté dont vous avez souligné le rôle essentiel dans le secteur de l’aérien ?

Je constate qu’outre-Atlantique comme en Europe, les autorités réfléchissent à la façon de franchir cette barrière, car chacun a le sentiment que les compétiteurs sont à armes égales.

Croyez-vous que ce modèle soit reproductible ? Par exemple entre l’Europe et la Chine ?

Il y a de gros marchés des deux côtés et le partenariat que nous établissons entre l’Europe et la Chine sera aussi développé entre les Etats-Unis -avec Delta- et la Chine.

Mais pourquoi ne pas vous lancer seul sur ces marchés émergents ?

En Chine, compte tenu des partenariats que nous avons engagé, développer une activité sous notre propre marque, cela me semble difficile. Mais il y a beaucoup de pays où la situation est différente. Ce qu’a fait la compagnie chilienne Lan en créant des filiales au Pérou, en Equateur et en Argentine prouve que c’est possible

Votre mandat s’achève l’an prochain. Souhaitez-vous le prolonger ?

Le moment n’est pas venu de répondre à cette question et je laisse les gens qui en décident l’apprécier eux-mêmes. Nous sortons d’une période terriblement difficile pour les salariés d’Air France KLM et ceux qui dirigent le groupe. Nous en sortons mieux que nous le pensions, grâce à tout ce que nous avons mis en place. Cette transformation en profondeur de l’entreprise s’étale sur plusieurs années. Rien que pour SkyTeam, nous allons passer de 13 à 20 membres. Avec mes équipes, je vais partager avec les salariés du groupe un nouveau projet d’entreprise dans une dizaine de jours. Voilà ce qui aujourd’hui mobilise toute mon énergie. Je me concentre sur ma tâche qui est la consolidation à moyen terme de ce groupe.

Mais vous avez sans doute des préférences…

Permettez-moi de les réserver à ceux qui ont le droit de les entendre. Ce n’est pas un sujet que j’estime urgent d’aborder dans la presse.

Source: latribune.fr

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