Questions et réponses de novembre 2010
Jean Belotti
Question : Est-il possible de transporter à bord des avions des animaux autres que les animaux domestiques, tels que chiens et chats ?
Réponse : Oui. Il existe une réglementation qui vous sera remise par votre agence de voyage, ou directement par la compagnie aérienne concernée. Cette réglementation traite des conditions de transport, de surveillance, de confort, de santé,… Pour le transport de chevaux, par exemple, la présence d’un accompagnateur est obligatoire et il faut l’agrément de la DRE (Direction Régionale des Equipements) et celui de la DSV (Direction des Services Vétérinaires). Le non-respect de ladite réglementation – indépendamment du fait qu’il est lourdement sanctionné – peut être à l’origine de graves incidents, voire accidents. J’ai en mémoire un vol d’un avion cargo complètement rempli de moutons, dont la transpiration, peu après le décollage, avait provoqué une dense buée ce qui avait obligé l’équipage à ouvrir les vitres du cockpit et à se reposer rapidement. Je viens d’apprendre qu’un grave accident (19 victimes) avait eu pour cause la panique déclenchée par l’évasion d’un crocodile, dissimulé dans un sac de sport. “Le saurien s’est échappé alors que l’avion amorçait sa descente sur Bandundu. L’hôtesse, effrayée, s’est précipitée vers le cockpit, aussitôt imitée par les passagers. Déséquilibré, l’appareil est aussitôt parti en vrille. Détail tragi-comique : le crocodile, lui, a survécu au crash. Une vidéo le montre émergeant tranquillement des débris de l’avion”.
Question : Que pensez-vous de la déclaration de Ryanair ayant annoncé qu’il fallait interdire les grèves des contrôleurs aériens en France ?
Réponse : Tout d’abord, quelles sont les raisons ayant motivé Ryanair à demander à la Commission Européenne d’interdire ce genre de mouvement et, du même coup de réformer la législation européenne (EU261) pour soulager les compagnies aériennes des compensations et obligations dans des cas de force majeure, totalement indépendants des compagnies aériennes ? Ce sont les 250 annulations de vols, qui s’ajoutent, depuis le début de l’année 2010, aux plus de 1.600 vols annulés et des milliers de retards, ayant directement pénalisé plus de deux millions de passagers, sans oublier le manque de recette et l’augmentation des coûts d’exploitation. Cette réaction d’un chef d’entreprise, sur la forme, est donc légitime. Quant au fond, puisque
le droit de grève est inscrit dans notre Constitution, l’hypothèse de sa suppression est donc un autre débat. Cela étant, d’aucuns s’étonneront qu’aucune voix ne se soit levée parmi les compagnies pour s’insurger contre de telles grèves, en intervenant pour que des dispositions soient prises afin de pallier les très désastreux effets de ces grèves :
– soit individuellement auprès des autorités de leur pays ;
– soit, ou également, au travers de leur association européenne (AEA – Association des compagnies aériennes européennes), au niveau de Bruxelles ;
Quant à mon avis, il est le même que celui développé dans ma chronique d’octobre :
– il est surprenant que les parties en présence n’aient pas encore pu mettre en place un système de règlement des conflits. (Voir ma chronique “Grèves et transports” de juin 2003) ;
– quelles que soient la nature des revendications, il est anormal que des personnels puissent bloquer l’activité économique de tout un pays avec toutes les déplorables conséquences pour les utilisateurs et consommateurs, pris en otage.
Question : Après la fusion de British Airways avec Iberia qui constituera une nouvelle situation monopolistique, j’ai appris que Southwest AL va racheter AirTran, formant ainsi une “low cost” géante. Ces regroupements sont-ils la dernière phase de la consolidation ?
Réponse : Les “low-cost” ont le vent en poupe. Iberia – que vous citez- a l’intention de créer une filiale “low cost”. Quant à la nouvelle Southwest, elle sera une première “low cost” géante de plus de 40.000 employés, qui transportera 100 millions de passagers par an, avec plus de 280 avions, en desservant une centaine d’escales. Le mouvement de consolidation des “low-cost” est donc bien engagé. Il faut s’attendre à ce qu’il se poursuive pour la desserte des longcourriers. Alors que de tels regroupements devraient permettre de réaliser ce que l’on nomme des “économies d’échelle” et des synergies positives (voir mon ouvrage “La synergie dans l’entreprise” Hermès-Lavoisier), il convient de prendre en compte divers problèmes qui résulteront : de la desserte non plus uniquement d’aéroports secondaires, mais de grands aéroports (donc plus coûteux) ; de l’exploitation d’une flotte composée, désormais, d’avions de différents types (double spécialisation de maintenance) ; de l’uniformisation du niveau du service aux passagers (plus de réservation de sièges) ; de l’application, pour la première fois du “modèle low-cost” sur les lignes long-courriers (Mexique et les Caraïbes) desservies par AirTrans ; d’une nouvelle définition de
stratégie et de “culture d’entreprise”. Quant à votre deuxième question, il est évident que le nombre de compagnies diminuant, on se rapproche de la fin de la consolidation. Le marché est déjà dans une situation d’oligopole restreint qui, au fur et à mesure des regroupements, conduira à différentes formes de duopoles, avant d’atteindre le stade ultime du monopole. (voir 7.2.2.- “La concurrence entre transporteurs aériens” – pages 469/493 et Annexe E “Régime de concurrence imparfaite” page 773/774, dans mon ouvrage “l’Economie du transport aérien”). Jusqu’à présent les principaux regroupements se sont effectués entre les compagnies dites “régulières”. On vient de voir un commencement de regroupement entre compagnies “low-cost”. La phase ultime sera celle de regroupement entre “régulières et “lowcost”. Il reste que quels que soient les avantages déclarés pour les passagers, les études économiques montrent, avec certitude, que les prix pratiqués par les monopoleurs sont toujours
supérieurs à ce qu’il devraient être, car c’est la seule façon de maximiser leurs profits (voir page 482 de l’ouvrage cité plus haut).
Question : Certaines compagnies sortant du rouge ont annoncé faire des bénéfices. Ne faudrait-il pas en profiter pour investir dans l’amélioration de la sécurité des vols et dans quels domaines d’après-vous ?
Réponse : Les investissements financiers sont calculés pour respecter les conditions minimales de sécurité fixées par la réglementation. Si certaines compagnies font des impasses, d’autres, se comportant en “bon père de famille”, prennent diverses dispositions de nature à augmenter les marges de sécurité de leur exploitation. Certes, le niveau de sécurité s’améliore alors que le trafic augmente, ce qui est le résultat des actions menées par tous les intervenants (constructeurs, compagnies, personnels, aéroports, etc…), mais effectivement, pourquoi ne pas tendre vers zéro accident ? Pour ce faire, après analyse des accidents survenus depuis une trentaine d’années, voici quatre domaines dont la prise en compte serait de nature à améliorer considérablement de niveau de sécurité de transport aérien. Si, dans le contexte actuel, il ne peut probablement s’agir que d’un voeu dont la probabilité de réalisation est bien faible, il mérite cependant d’être exposé.
1.- Équipages et maintenance.
* La formation devrait être moins théorique et plus pratique. Avec, comme exemple – parmi beaucoup d’autres – celui des atterrissages par fort vent de travers. Plusieurs vidéos montrent, effectivement, une incapacité de plusieurs pilotes à réagir
correctement face à une telle situation (voir ma chronique d’août 2009). Quant aux nombreuses infractions constatées (entre autres : 200 pilotes chinois ont menti sur leur niveau d’expérience et falsifié leurs licences (d’après une investigation de l’Aéronautique Civil Aviation Administration of China (CAAC)) ; l’enquête d’un accident survenu en Afrique avait révélé que le copilote avait bénéficié, de la part de la plus haute autorité du pays, d’une licence de complaisance !…), elles devraient être plus
facilement décelables et sanctionnées.
* La maintenance est effectuée par des centaines de centres agréés, répartis sur le globe, mais dont il n’existe aucune connaissance du niveau de leurs prestations.
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Les graves anomalies dans la formation et dans la maintenance, n’étant malheureusement révélées qu’à la suite d’accidents aériens survenus dans certains pays bien connus, il est très difficile, voire impossible, d’y intervenir, sans risquer d’être accusé d’ingérence. En conséquence, afin d’y pallier – indépendamment de l’OACI qui n’émet essentiellement que des “normes” et “recommandations” – seul un accord de tous les Etats permettrait de mettre sur pieds un organisme international de contrôle.
2.- Constitution et composition de l’équipage technique (voir ma chroniques sur les officiers mécaniciens de septembre 2006).
– La constitution d’un équipage (ou appariement), s’effectue d’après les qualifications, les fonctions exercées, l’ancienneté sur l’avion considéré, l’expérience de la ligne ou des terrains fréquentés, concernant chacun des membres d’équipage. Or, l’analyse des accidents survenus depuis une trentaine d’années montre que nombre d’entre eux ont eu pour cause une mauvaise constitution de l’équipage (deux jeunes pilotes insuffisamment qualifiés ; deux nouveaux pilotes de nationalité différente ;
deux pilotes n’ayant pas fait la reconnaissance de ligne sur une destination avec conditions d’atterrissage particulières (piste en altitude, piste limitative, aéroport entouré de hauts sommets ; …).
– La composition d’un équipage est représentée par le nombre de navigants et par leur fonction à bord. La composition de l’équipage technique de base était, autrefois, de 6 membres, sur longcourriers (Commandant, Officier-pilote, deux Officiers-mécaniciens, Officier-navigateur et Officier-radio). Elle a, progressivement, été ramenée à trois membres (Commandant, Officier- pilote et Officier-mécanicien), puis à deux membres (Commandant et Officier-pilote) sur l’A-320, puis sur le B747-400, et d’autres appareils récents. Est-ce nécessaire, aujourd’hui, d’évoquer le rôle de l’Officier mécanicien, cette spécialité ayant disparu lentement, les avions étant, désormais, pilotés à deux membres d’équipage ? Sans entrer dans le débat de “l’équipage à deux”, il est cependant possible, après analyse des accidents survenus depuis une trentaine d’années, de confirmer, effectivement, que la présence d’un troisième homme dans le poste de pilotage aurait permis d’éviter plusieurs incidents et accidents:
– soit en décelant et analysant les anomalies constatées, plus rapidement que les deux pilotes, occupés à la conduite du vol ;
– soit en intervenant, oralement ou manuellement, afin de sortir les pilotes d’un schéma mental erroné. En effet, l’expérience montre que, sous certaines conditions, les deux pilotes peuvent se trouver dans une situation de stress et s’engager, dans ce que j’ai nommé une « spirale diabolique », les entraînant vers la catastrophe. Personnellement, au cours de ma carrière, au moins trois fois, lors d’approches dans des conditions très difficiles, l’intervention de l’officier mécanicien nous a grandement facilité la
tâche, non seulement en nous délestant de certaines actions (manoeuvre de secours ; passage en cabine, voire en soute ; contact radio sur une autre fréquence, recherche d’une information dans les manuels de bord, etc,…), mais aussi en contribuant à adopter la solution salvatrice. En clair, la question posée est de savoir si, ne serait-ce que pour un seul accident, éviter la mort d’une centaine de passagers ne vaut pas l’investissement supplémentaire d’un troisième homme ?
3.- Système de pilotage des avions Les avions de la ligne actuels sont équipés de systèmes extrêmement complexes dont l’objectif est d’éviter que, dans toutes les situations imaginables, l’avion ne sorte de son domaine de vol… même à refuser d’appliquer les ordres du pilote aux commandes, voire de déclencher des manoeuvres dangereuses comme par exemple – à la suite d’un fausse information sur la vitesse – une brutale remise de gaz faisant décrocher l’avion à grande vitesse… avec les dramatiques
conséquences bien connues. Malheureusement, les faits montrent que plusieurs graves incidents et accidents se sont produits à la suite de dysfonctionnements des systèmes d’ordinateurs de bord, malgré leur redondance. Sans être taxé de refuser le progrès technique, quelques commentaires sont cependant suscités : Étant donné que les simulateurs ne sont pas prévus pour reproduire les réactions de l’avion hors de son domaine de vol, il est évident que des pilotes n’ayant fait leur formation que sur
simulateur, ils ne sont pas aptes à récupérer un décrochage provoqué par une sortie du “domaine de vol” due à un dysfonctionnement des systèmes…. d’où ma suggestion de faire, en vol, un minimum d’exercices de décrochage, à tout le moins jusqu’au buffeting, afin de sensibiliser les pilotes sur l’éminence du décrochage et la façon de le récupérer. En fait, pour éviter que les systèmes interdisent une action salvatrice du pilote aux commandes, la solution serait celle d’une profonde modification du système de commande des gouvernes. Cela permettrait au pilote aux commandes, par une simple pression sur un bouton, d’annuler instantanément les ordres en provenance des ordinateurs, par une déconnexion de tous les systèmes de bord et une action immédiate sur les trois gouvernes de base (direction, profondeur, inclinaison). Ainsi, tout pilote entraîné pourrait alors agir efficacement pour récupérer les situations les plus délicates, comme celle de la mise en vrille (cité dans ma chronique de juin 2009, où lors d’un vol d’entraînement en Caravelle, à 18.000 pieds, le stagiaire n’ayant pas fait la bonne manoeuvre corrective, j’avais récupéré l’avion après un demi-tour de vrille)… mais il paraît qu’une telle modification est désormais impossible à réaliser !
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Dire qu’une action est souhaitable dans ces trois domaines est une chose ! Bien sûr, la voir se réaliser en est une autre ! Et pourtant, Montaigne ne disait-il pas : “C’est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble”.
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