Airbus ou Boeing ne jurent que par elles ; Air France-KLM ou Lufthansa les considèrent avec méfiance, voire avec suspicion. La commande de trente-deux A380 que vient d’annoncer Emirates met, elle, en évidence la stratégie offensive des compagnies aériennes du Golfe.
Emirates (Dubaï), Etihad (Abou Dhabi) ou Qatar Airways affichent des taux de croissance à deux chiffres et des bénéfices insolents. Avec 105 commandes fermes, soit 45 % de l’ensemble des réservations du géant des airs européen, ces opérateurs forment une armada qui ne laisse pas d’inquiéter les compagnies européennes. « Ils veulent prendre des parts de marché et cela va accroître la concurrence », redoute Wolfgang Mayrubher, président de Lufthansa.
Mercredi, Pierre-Henri Gourgeon, directeur général d’Air France-KLM, a été plus direct. « Nous ne luttons pas à armes égales. Les compagnies du Golfe, qui appartiennent à des Etats, ne paient pas de taxes ni de charges sociales, ne participent pas au financement du contrôle aérien et ne versent rien – ou si peu – à leurs aéroports », a-t-il lancé lors du vingtième anniversaire de la Fédération nationale de l’aviation marchande (FNAM).
Si Air France-KLM opérait dans les mêmes conditions, assure-t-il, ses charges seraient inférieures de 3 milliards d’euros par an. Face à des concurrents « qui cherchent à prendre ce métier pour l’installer dans les pays du Golfe, l’Europe doit se poser la question de rester attractive », a-t-il prévenu.
A l’écart des grandes alliances mondiales constituées par les majors, les compagnies du Golfe ont tissé leur toile. Leurs plates-formes, situées au croisement des routes menant vers l’Europe, l’Afrique, l’Australie et l’Asie, ont tiré avantage du glissement vers l’est du centre de gravité des échanges mondiaux. « Installés à quelques heures de vol de l’Inde et de la Chine, elles captent les énormes flux générés par les classes moyennes émergentes », souligne Olivier Fainsilber, consultant chez Oliver Wyman.
Réputation d’excellence
Au départ de Doha, de Dubaï ou d’Abou Dhabi, l’entrepreneur de Shanghaï attrapera un vol vers l’Afrique, une famille de Calcutta s’envolera vers le Canada où vit une importante communauté indienne et le businessman réticent à l’idée de séjourner au Pakistan réalisera dans la journée l’aller-retour vers Karachi. Ces compagnies, qui ne sont pas meilleur marché que leurs concurrentes, se sont forgées une réputation d’excellence dans le service à bord en collectionnant les récompenses.
En revanche, leurs comptes restent un secret bien gardé. Qatar fait état d’un taux de croissance de 40 % par an et Etihad prévoit, sans plus de détail, d’atteindre l’équilibre en 2011. Seule, Emirates publie son bilan : un bénéfice de 900 millions d’euros pour 2009 (+ 248 %) et d’une trésorerie de 2,7 milliards. « On ne siphonne pas le trafic des compagnies européennes », se défend Jean-Luc Grillet, directeur général d’Emirates pour la France et le Benelux qui qualifie « d’accusations de mauvais joueur » les attaques de M. Gourgeon.
« Face à Air France, dont les pilotes travaillent deux fois moins longtemps que ceux des autres compagnies, la structure de nos coûts est avantageuse, mais nous payons les mêmes taxes d’atterrissage que nos concurrents à Dubaï et finançons nos achats d’avions aux conditions du marché », fait-il valoir.
Très demandeur de droits de trafic supplémentaires au départ de Paris, Emirates devra patienter. Les discussions engagées, lundi 14 et mardi 15 juin avec la direction de l’aviation civile, se sont achevées sans qu’un accord n’ait été trouvé.