La cogestion allemande à l'épreuve chez Lufthansa
LE MONDE | 20.02.10 | 15h07 • Mis à jour le 20.02.10 | 15h07
Berlin Correspondante
Acompter du lundi 22 février, un mouvement social de grande envergure débute chez Lufthansa. Le syndicat Cockpit, qui défend les intérêts des 4 500 pilotes de la compagnie aérienne allemande, a appelé à une grève de quatre jours pour protester contre une délocalisation des emplois à l'étranger. Il reproche à l'entreprise de desservir un nombre croissant de ses itinéraires par ses filiales, où les salaires sont inférieurs à ceux de la maison-mère. Résultat, près de deux tiers des vols vont être annulés a dû annoncer, vendredi 19 février, la compagnie.
Ce procédé tranche avec le consensus social habituel outre-Rhin. La grève reste toujours l'"ultima ratio", le dernier recours dans un conflit qui oppose les partenaires sociaux. Certes, ce genre de mouvements a eu tendance à augmenter ces dernières années, avec un pic en 2006 et 2007 : les grèves des conducteurs de train de la Deutsche Bahn en 2007 avaient ainsi défrayé la chronique. Mais l'Allemagne reste l'un des pays les plus pacifiques au monde dans ce domaine.
"QUESTION DE LA MESURE"
De plus, un conflit social débute généralement par des grèves d'avertissement, c'est-à-dire des arrêts de travail temporaires. Comme actuellement dans la fonction publique, où les négociations salariales entre le syndicat des services Ver.di et les employeurs sont au point mort. Début février, plus de 10 000 personnes avaient cessé pour quelques heures leur travail dans les hôpitaux, les crèches et les transports en commun de plusieurs régions.
Avec la crise, les prétentions des syndicats et leur goût du conflit se sont réduits. En témoigne l'accord obtenu dans le secteur clé de la métallurgie jeudi 18 février. En l'espace d'une semaine, le syndicat IG Metall et le patronat Gesamtmetall ont trouvé un compromis. Du jamais vu dans l'histoire de cette branche où les négociations salariales s'éternisent pendant de longues semaines et s'accompagnent du rituel des grèves d'avertissement. L'accord a d'ailleurs été encensé par la presse et les représentants politiques : les 3,4 millions de salariés de la branche ont concédé un quasi-gel des salaires en échange d'un maintien de l'emploi jusqu'en 2012. "Qu'il y a-t-il de plus innovant que de sécuriser les emplois dans la plus grande crise depuis quatre-vingts ans ?" a expliqué Berthold Huber, président d'IG Metall.
A côté, l'action de Cockpit ne suscite guère de sympathie. Une "grève de privilégiés", fustige le Financial Times Deutschland. Au moment où le débat sur la politique sociale et les indemnités des chômeurs de longue durée agite tout le pays, le mouvement des pilotes, dont les revenus annuels atteignent jusqu'à 180 000 euros, "paraît un peu déplacé", souligne-t-on au sein de la Fédération allemande des syndicats (DGB), dont Cockpit n'est pas membre. "C'est une action, dont la radicalité discrédite la requête", renchérit le quotidien libéral Süddeutsche Zeitung.
D'autant que le chaos généré par la dernière grève majeure des pilotes de Lufthansa, en 2001, est encore dans toutes les têtes. Après avoir paralysé le trafic aérien pendant trois jours, les pilotes étaient parvenus à imposer une hausse de salaire de 20 %. Ce nouveau conflit chez Lufthansa arrive, d'ailleurs, à un bien mauvais moment pour la compagnie, déjà très touchée par la crise du secteur et qui tente de mettre en place un ambitieux programme d'économies.
Pour Hagen Lesch, expert à l'Institut d'économie de Cologne (IW), le syndicat de pilotes abuse de son pouvoir : "Il se pose à nouveau la question de la mesure dans ce type de conflit." En même temps, cette grève dure témoigne une fois de plus des évolutions du syndicalisme allemand avec l'influence grandissante de petites organisations de salariés.
Lufthansa n'a pas exclu d'éventuels recours en justice. "L'appel à la grève est disproportionné", souligne le groupe dans un communiqué. Cet arrêt de travail risque de lui coûter près de 25 millions d'euros par jour.
OUTRE-RHIN, LES GRANDES GRÈVES RESTENT PEU FRÉQUENTES
2002 : 217 000 ouvriers de la métallurgie font grève pendant dix jours, et obtiennent une augmentation de salaire de 4 %.
Juin 2007 : après plus d'un mois de grève, Deutsche Telekom et le syndicat des services Ver.di trouvent un compromis sur les modalités de transfert de 50 000 personnes dans des sociétés extérieures au groupe.
Novembre 2007 : la grève des conducteurs de train de la Deutsche Bahn paralyse l'ensemble du trafic voyageurs et fret pendant trois jours.
Janvier-juillet 2008 : après six mois de mouvement social, les salariés du commerce de détail obtiennent une hausse de salaire de 3 %.
Juillet 2008 : A la suite d'une grève de quatre jours, le syndicat de Ver.di impose une hausse de salaire de 5,1 % pour le personnel de bord et au sol de la Lufthansa.
Cécile Calla
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guy canton
20.02.10 | 20h56
le financial times defend les actionnaires et les rentiers en essayant de dresser les salaries les uns contre les autres .Les pilotes ont raison .Delocaliser pour tirer le maximum de profits ,toujours plus d'avidité ne peut mener qu'au délitement de la société .Les limites du supportable ont été dépassées ,gare au retour de baton.
Gérard AUSSEIL
20.02.10 | 17h20
"Une grève de privilégiés fustige le financial times Deutschland". Sûr que lorsqu'il s'agit de parachutes dorés il fustige beaucoup moins; De même que "prétention" ne saurait s'appliquer qu'à des salariés. Quoi qu'il en soit des salaires élevés des pilotes allemands, il est plus que temps que la guerre contre les délocalisations commence malgré tous les financiers, grands patrons et politiciens à leur solde. alors vive les pilotes de Lufthansa.
JPL
20.02.10 | 17h05
Je n'ai pas souvenir que le financial times ait jamais critiqué les rémunérations des traders et autres incompétents de la finance -dirigeants des agences de notation, par exemple- qui ont mené l'économie mondiale au bord du gouffre. Les pilotes ont au moins un sens des responsabilités : ils savent que si l'avion s'écrase, ils ont de forts risques de figurer parmi les victimes. Ce ne fut pas, hélas, le cas des "inventeurs" et utilisateurs des subprimes et autres instruments financiers létaux.
Paulo
20.02.10 | 16h27
Les pilotes ont bien raison! Avec le partage de codes, Lufthansa (et les autres grandes compagnies aériennes) vendent des billets pour ensuite faire voler leurs passagers (ils sont prévenus au moins c'est déjà ca) dans les avions de compagnies partenaires par économies. Il est normal d'être bien payé quand on est un professionnel bien formé qui fait de la qualité et qui ne veut pas la voir disparaître au profit du moindre coût. Ils se battent contre le délitement de leur compagnie, tenez bon !