L'air dans les avions de ligne peut-il être contaminé par des émanations toxiques ?
LE MONDE | 01.08.09 | 14h11 • Mis à jour le 01.08.09 | 16h44
AFP/OFF
Un Airbus A 330 de la compagnie Air France.
Jeudi 30 juillet, un Airbus A330 d'Air France assurant la liaison Paris-Douala (Cameroun) a dû rebrousser chemin et se poser d'urgence. A l'origine de cet incident, une "anomalie dans le système de conditionnement d'air", qui a entraîné "l'apparition de légères fumées dans la cabine", selon un porte-parole de la compagnie. Les passagers ont atterri sans encombre. Pour Air France, il s'agit d'un "incident tout à fait mineur". La question est pourtant moins anecdotique qu'il n'y paraît.
lusieurs incidents liés à des fumées ont été relevés en vol, notamment sur les deux appareils les plus vendus au monde, le Boeing 737 et l'Airbus A320. Selon le Committee on Toxicity :wink: , groupe d'experts indépendants consulté par le gouvernement britannique en septembre 2007, les pilotes rapportent des incidents de fumée sur 1 % des vols ; après enquête, les compagnies en reconnaissent 0,05 %. Aux Etats-Unis, ces pourcentages représentent respectivement 280 et 14 vols par jour, estime le Wall Street Journal.
Des recherches mettent en cause le système de conditionnement de l'air dans les avions, exposé à des substances toxiques et des fumées dangereuses pour la santé et la sécurité. L'air prélevé à l'extérieur passe dans les compresseurs des moteurs ; refroidi, il est introduit dans l'avion et mélangé à l'air de la cabine. Or, des huiles de moteurs contiennent des substances toxiques, comme le tricrésyl phosphate. En cas de fuites d'huile, des fumées peuvent se dégager dans l'avion. Et les filtres destinés à purifier l'air, s'ils captent la quasi-totalité des bactéries, peuvent parfois laisser passer ces fumées.
Celles-ci peuvent présenter des risques pour la sécurité, obligeant l'avion à changer sa trajectoire et à atterrir d'urgence. Elles peuvent aussi avoir des conséquences neurotoxiques pour la santé, indique à CNN William Nazaroff, professeur d'ingénierie civile et environnementale à l'université de Berkeley.
Premiers touchés, les pilotes et le personnel navigant tirent la sonnette d'alarme. Dans le documentaire "Bienvenue à bord d'air toxique" ("Welcome aboard toxic airlines"), réalisé en 2007 et primé dans de nombreux festivals internationaux, l'ancien pilote britannique de British Airways Tristan Loraine révèle les dangers d'expositions toxiques, et dénonce le silence des compagnies aériennes.
Le 7 juillet 2009, l'hôtesse de l'air américaine Terry Williams a déposé plainte contre le groupe Boeing : elle dit avoir été intoxiquée par des fumées lors du vol 843 d'American Airlines en direction de Dallas, le 11 avril 2007, et souffre de fortes migraines chroniques.
Si le personnel navigant est le plus exposé, certains passagers aussi disent avoir été intoxiqués. Plusieurs procès sont en cours. Des plaintes ont été déposées ; l'une, en avril, après un incident de fumée lors d'un vol de Southwest Airlines le 27 janvier, et l'autre, par un groupe de vingt passagers d'un vol charter entre Londres et Orlando, en 2007, contre Boeing.
Ces risques d'exposition toxique commencent à préoccuper les pouvoirs politiques. Aux Etats-Unis, la Chambre des représentants a voté le 21 mai le Federal Aviation Administration Reauthorization Act qui encourage la recherche-développement de technologies pour éliminer les toxines contenues dans l'air comprimé. Au Royaume-Uni, le Parlement a tenu un débat le 1er juillet à ce sujet. En France, la question n'est pas encore à l'ordre du jour : le deuxième plan national santé-environnement, annoncé le 21 juillet, pour réduire les expositions toxiques, ne s'étend pas aux avions.
Portés tout récemment à l'attention des pouvoirs politiques et des médias, ces risques sont en fait étudiés depuis plusieurs décennies puisque les premières recherches remontent à 1977. En effet, le sujet est très délicat, ainsi que les conditions de recherche : en l'absence de détecteurs, de rapports et d'enquêtes systématiques sur ces incidents, il est difficile d'évaluer leur fréquence et de déterminer précisément leurs implications sur la santé.
L'étude la plus importante à ce jour a été publiée en 2007 par l'American Society of Heating, Refrigerating & Air Conditioning Engineers (Ashrae), au bout de dix ans de recherches menées par un comité d'experts, représentatif de tous les secteurs de l'aviation. Montrant certaines déficiences des systèmes d'aération des avions, elle a préconisé des normes et proposé le recours à des détecteurs pour s'assurer que l'air comprimé n'est pas contaminé par des fuites d'huiles toxiques.
En mars, elle a alerté les autorités américaines et européennes, la Federal Aviation Administration (FAA) et l'European Aviation Safety Agency (EASA), et les a appelées à trouver des solutions techniques. Celles-ci sont en train d'effectuer des recherches.
Mais pour l'heure, les recommandations de l'Ashrae ne sont pas suivies par les industriels de l'aéronautique et les compagnies aériennes, qui oscillent entre le déni et le silence. Le groupe Boeing conteste l'existence de ces risques ; comme Airbus, il estime tout à fait fiable le système de conditionnement de l'air de ses avions, pourvu de filtres. "Les avions d'Airbus", déclare un porte-parole du groupe, "sont conçus pour éviter la contamination de l'air dans les conditions normales d'opération." Certes, mais au sujet des incidents de fumées et des plaintes déposées contre eux, industriels et compagnies aériennes préfèrent ne pas faire de commentaires.
Interrogée, Air France n'a pas souhaité s'exprimer sur la question.
Diane Robin
Article paru dans l'édition du 02.08.09.
Pollution dans les avions : trois défis à relever
En 2008, les niveaux de pollution de l'air ont été "dans la continuité des années précédentes", selon le bilan annuel de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) présenté mercredi 29 juillet. Concernant l'air intérieur, le ministère de l'écologie estime que trois défis majeurs sont à relever : mettre en place une surveillance adaptée dans les lieux de vie "clos et sensibles", écoles et crèches en particulier ; trouver un équilibre entre la maîtrise de l'énergie et la qualité de l'air intérieur : ventiler suffisamment, tout en évitant une déperdition trop importante de calories. Enfin, le ministère veut encourager l'étiquetage environnemental et sanitaire des produits de construction et de décoration. Par ailleurs, l'Ademe note que si le chauffage au bois, dont le développement est prévu par le Grenelle de l'environnement, permet de réduire les émissions de CO2, il contribue à la diffusion massive de particules toxiques dans l'atmosphère.