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- 15 juin 2009 à 20 h 39 min #85469
Roissy, terminal des mineurs du monde
LE MONDE | 15.06.09 | 17h58 • Mis à jour le 15.06.09 | 20h26Zanaït pousse un profond soupir, sans quitter des yeux son petit téléphone portable rose dont elle ouvre et rabat sans cesse le clapet. Elle voudrait appeler, elle ne le peut pas. « No service… » Pas d’abonnement international. Raconter son histoire ? Nouveau soupir. Elle attrape le cahier sur la table et écrit en anglais ces quelques lignes rédigées à la manière d’un Texto, avec ses codes : « I am from Nig. I was suppose 2 go 2 Budapest 2 meet my mam et my dad but they say I’m 2 young 2 go myself, that is why they are holding me in France » (« Je viens du Nigeria, je devais aller à Budapest pour retrouver ma mère et mon père, mais ils ont dit que j’étais trop jeune pour y aller toute seule, c’est pourquoi ils me gardent en France »). A côté, Zanaït a inscrit sa date de naissance : 24 mars 1993. 16 ans.
© John Schults / Reuters
Des policiers à Roissy : plus d’un millier d’enfants et d’adolescents sans papiers ont été appréhendés à l’aéroport Charles-de-Gaulle en 2008.L’adolescente, petite et menue dans son jean, est arrivée toute seule début mai à l’aéroport Roissy – Charles-de-Gaulle, où elle a été interpellée par la police aux frontières (PAF). Le tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis) l’a confiée au service d’aide sociale à l’enfance du département, l’ASE 93. Sur son ordonnance de placement, le juge a écrit : « suspicion victime d’un réseau de prostitution ». D’étranges intermédiaires, un curieux avocat, repérés autour d’elle, dans la salle « 35 Quater » du tribunal, ont nourri ces craintes. Zanaït est sortie par une porte arrière, prudemment exfiltrée par une éducatrice inquiète. Elle a été conduite dans une famille d’accueil, en Seine-Saint-Denis, où elle réside désormais.
La « 35 Quater » de Bobigny ne désemplit jamais. Cette salle d’audience, nommée ainsi en référence à un article de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France, accueille tous les jours clandestins et sans-papiers. Parmi eux, des mineurs étrangers isolés (MEI), à peine débarqués de l’aéroport.
Roissy. Sur le mur du bureau de Nadine Joly, directrice de la PAF, s’étale la carte des 3 200 hectares de la zone aéroportuaire. Au bout des pistes, la zone d’attente des passagers sans papiers, la fameuse « ZAPI 3 ». Ici, un étage d’un hôtel de type Formule 1 est réservé aux sans-papiers : 164 chambres équipées de barreaux aux fenêtres pour les adultes et, au bout du couloir, un espace pour les mineurs.
Pas question de remettre en cause ce principe combattu par des associations comme l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers), même pour des mineurs, a prévenu Eric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale. En 2010, un nouveau bâtiment devrait leur être consacré. En attendant, les plus jeunes sont confiés à la garde d’une « nurse », une hôtesse ou une salariée de la compagnie aérienne avec laquelle ils sont arrivés. Un tiers de ces mineurs a moins de 13 ans. Le plus jeune, arrivé à Roissy début 2009, avait 4 ans. Il faisait partie d’une fratrie venue d’Afrique.
Ils sont de plus en plus nombreux, ces enfants-ados sans papiers, à tenter leur chance. De plus en plus nombreux à être interpellés dès la passerelle, à la sortie de leur avion, sur l’un des 120 vols quotidiens classés « à risque » par la police. Beaucoup sont munis de faux papiers ou n’en ont plus : ils les ont jetés à l’arrivée, ou mis à l’abri. La police a découvert l’une de ces caches dans un faux plafond des toilettes du terminal 2. A moins qu’un adulte « accompagnateur » ait récupéré le passeport. Dans tous les cas, un examen osseux – contesté par les associations – est demandé par la police. Et, bien souvent, les médecins confirment la minorité.
Eric Besson évalue à 2 500 le nombre de ceux qui arrivent devant les tribunaux chaque année en France. En 2008, la PAF en a placé 1 092 en zone d’attente, rien qu’à Roissy – 30 % de plus qu’en 2007. Dans une note récente, Elisabeth Coletta, chef de service à l’ASE 93, a tiré la sonnette d’alarme : « Depuis un an, une augmentation sans précédent du nombre des arrivées des mineurs isolés, par la zone aéroportuaire, sature le dispositif d’aide sociale à l’enfance (…). Ils représentent ainsi 28,92 % des admissions totales, contre 12,18 % pour l’ensemble de l’année 2007. ». Le coût annuel de leur prise en charge atteint 15,8 millions d’euros en Seine-Saint-Denis.
Environ un tiers de ceux qui sont arrivés à Roissy en 2008 ont été « réacheminés », c’est-à-dire refoulés par avion, quitte à ce que le retour s’effectue dans le pays de provenance, et non d’origine. Comme ils empruntent des itinéraires compliqués, en zigzag, pour échapper aux contrôles et aux visas, certains ont été renvoyés dans des destinations très éloignées de leur pays d’origine. Ballottés d’un Etat à l’autre. « On a joué au ping-pong avec les Russes, les Libanais, les Turcs… », concède Nadine Joly. Mais, précise la directrice de la PAF de Roissy, « depuis quelques années, nous nous sommes engagés à les renvoyer dans leur pays d’origine ».
A Bobigny, le juge pour enfants Jean-Pierre Rosenczveig voit dans son bureau, si besoin avec l’aide d’un interprète, ceux qui entrent sur le territoire. Ce jour-là, il reçoit Batouli M. A., une Comorienne de 17 ans, élève de seconde. « Vous êtes en France, 1-0 », commence-t-il. Apeurée, Batouli ne pense pas à rire, ni même à sourire. « Mineure, elle n’est pas expulsable », précise le juge aux deux adultes qui lui font face, une soeur et un cousin venus récupérer la jeune fille depuis le sud de la France. En guise d’explication, la famille évoque une situation politique instable. « Aux Comores ? », s’étonne le juge. « On a peur que ça empire », répond l’homme. Affaire classée. Batouli, née le 16 juin 1992, a tout juste un an pour tenter de régulariser sa situation. Mission quasi impossible dans son cas.
Avec le temps, la PAF a établi une classification. Les uns viennent dans le cadre d’un « regroupement familial sauvage », explique Lydie Aragnouet-Brugnano, commissaire divisionnaire, chef de la division immigration. « Des Africains, pour beaucoup. » D’autres alimentent des réseaux de travail clandestin, « des Chinois essentiellement ». A leur arrivée, ils réclament un téléphone. Dès qu’ils ont contacté le réseau censé les accueillir, ils disparaissent.
Les Chinois forment aujourd’hui la catégorie la plus importante devant les Indiens, les Palestiniens et les Congolais. Et puis, il y a des mineures, proies de réseaux de prostitution, « ghanéennes, nigérianes ». « On croise toutes les histoires, tous les scénarios », souffle Alain Buge, responsable du service d’aide à l’enfance dans la circonscription de Drancy. Des gamins qui, avec 20 euros en poche, fuient la misère et montrent une détermination qui laisse sans voix les éducateurs. D’autres qui sont « programmés » pour rejoindre des ateliers clandestins et dont l’avenir est déjà obéré par une écrasante dette – jusqu’à 25 000 euros pour régler les passeurs payés par les familles en Chine. D’autres encore qui tentent par tous les moyens de rejoindre un parent.
Les filières s’évaporent aussi vite qu’elles se créent. « Nous avons affaire à des gens extrêmement intelligents qui s’adaptent très, très vite, assure Nadine Joly. En trois jours, une filière peut s’arrêter. » « Les passeurs connaissent jusqu’à l’organigramme des permanences des JLD (juges des libertés et de la détention) ! », s’offusque le juge Rosenczveig. Les « faux transits » connaissent un franc succès : des enfants chinois s’inscrivent sur des vols pour La Havane via Paris, par exemple.
Ces « enfants de l’extérieur », comme les appelle le juge Rosenczveig, sont pris en charge par les services sociaux, placés dans des centres d’hébergement, des familles d’accueil ou des sites spécialisés comme le Lieu d’accueil et d’orientation (LAO) de Taverny, dans le Val-d’Oise. Géré par la Croix-Rouge mais financé par l’Etat, son sort apparaît aujourd’hui incertain, au grand dam des éducateurs.
Jusqu’en 2007, cet hôtel particulier sans prétention, installé dans un parc magnifique, n’était qu’aux deux tiers plein. Mais « depuis 2008, explique son directeur, Jean-Claude Nicolle, nous sommes saturés. Nous avons dû refuser plus de deux cents mineurs. » Les trente places sont occupées « uniquement par des vols long-courriers » : neuf Chinois, six Congolais, deux Soudanais, deux Tchadiens, deux Indiens, un Afghan, un Népalais, un Sri-Lankais… La moyenne d’âge est de 16 ans et demi. Les prénoms figurent sur un tableau à l’entrée des chambres : Jie, Chico, Xian Kai, Zhao, Romaric, Yili, Anita… « Quand ils arrivent, ils sont très fermés, méfiants, raconte le directeur. Notre premier travail est de restaurer la confiance avec les adultes. Ici, on ne leur pose pas de questions et, peu à peu, on les voit sortir de leur gangue. » Ce qui n’empêche pas près de 50 % des pensionnaires de fuguer.
Au premier étage, Cheik s’applique à recopier au crayon à papier des formules de politesse en français. Dans un anglais approximatif, cet Afghan de 17 ans dit avoir déjà passé deux ans en Grèce, où il a été arrêté une première fois, avant d’atterrir en France. Aidé d’une éducatrice, Yannick, un grand gaillard venu de la République du Congo, rédige un petit rapport de stage. Son rêve : rejoindre sa mère installée à Manchester, en Angleterre. Une poignée de structures se sont spécialisées ces dernières années dans l’aide à ces jeunes, comme l’association En Temps, à Montreuil.
Pour être certains d’obtenir une régularisation, ces mineurs doivent désormais être suivis pendant trois ans par l’une de ces associations. Faute de quoi, ils se retrouveront clandestins, et donc expulsables une fois majeurs. Le temps est compté. Zanaït a jusqu’au 24 mars 2011.
Isabelle Mandraud
Article paru dans l’édition du 16.06.09.
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