La cour d’appel de Paris décide ce lundi 17 avril 2023 si Airbus et Air France sont responsables du crash du vol AF447 entre Rio de Janeiro et Paris. Il y a 14 ans la catastrophe a fait 228 morts, 216 passagers et 12 membres d’équipage. Les entreprises sont jugées pour homicide involontaire.
AF447, une longue recherche
Le 1er juin 2009, le vol AF447 s’est écrasé dans l’océan Atlantique en pleine nuit. L’Airbus était en vol de puis 3 heures et 45 minutes après avoir décollé de l’aéroport de Galeão, à 19h29, heure de Brasilia. L’avion transportait des passagers de 33 nationalités, dont : 61 Français, 58 Brésiliens, 28 Allemands, neuf Italiens et deux Espagnols.
L’épave de l’avion et les corps de certaines des victimes ont été retrouvés dans les jours suivants.
Ce qui rend d’autant plus exceptionnel l’un des accidents les plus meurtriers de l’histoire de France, c’est le retard de deux ans pour retrouver le reste de l’avion et les deux boîtes noires. Après de longues recherches, le fuselage de l’Airbus A330 a été retrouvé le 2 avril 2011, à une profondeur de 3 900 mètres.
Les deux boîtes noires ont été localisées les 1er et 3 mai 2011 et ont apporté des informations précises sur les paramètres de l’avion et les conversations entre les trois pilotes lors du crash du vol AF447. Avec la récupération des boîtes noires, la principale cause de l’accident a été révélée : le gel des capteurs de vitesse Pitot.
Déroulement du crash AF447
L’avion a signalé sa position au centre de contrôle de Recife puis s’est dirigé vers l’est, vers une tempête tropicale, dans une zone où les masses d’air des hémisphères sud et nord se rencontrent, dans la région équatoriale, appelée « pot au noir », lieu où se produisent de fréquents orages.
Le commandant de bord, Marc Dubois, 58 ans, avec 11 000 heures de vol, avait quitté le poste de pilotage pour se reposer. A 2h10, les deux autres pilotes moins expérimentés, Pierre-Cédric Bonin, 32 ans, David Robert, 37 ans étaient seuls aux commandes de l’avion, lorsque le scénario a changé.
Avec les erreurs dans la mesure de la vitesse et la déconnexion du pilote automatique, Bonin, qui a pris le contrôle manuel de l’avion, a ordonné à tort à l’avion de monter, dépassant l’altitude maximale prévue, ce qui a conduit l’avion vers la perte de portance et le décrochage. L’équipage n’a pas pu reprendre le contrôle et l’avion a alors chuté, d’une altitude de 11,5 kilomètres, en 3 minutes et demie.
La boîte noire a révélé les conversations des instants précédant l’accident. Les pilotes disaient : « Je ne comprends pas ce qui se passe (…) Je n’ai plus le contrôle de l’avion. Je n’ai aucun contrôle sur l’avion (…) va-t-il monter ou descendre ?
Le 5 juillet 2012, le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA) de l’Aviation Civile, une agence du Ministère des Transports, a conclu les investigations. Le rapport du BEA indique que le crash du vol AF447 a été principalement causé par des erreurs du pilote et un manque de formation de l’équipage, qui n’a pas su comment agir face à un problème mécanique. L’agence a conclu que trois facteurs ont été déterminants pour le crash : des pannes techniques, un manque de formation et des erreurs de pilotage.
Plus tard, un rapport du magazine français Le Point révèle que le rapport du BEA a omis un dialogue parmi les dossiers de la boîte noire sur la fatigue du commandant Marc Dubois : « La nuit dernière, je n’ai pas assez dormi. Une heure plus tôt, ce n’était pas suffisant », a déclaré Dubois, quelques minutes avant d’aller se reposer.
Au cours des investigations, de nombreuses familles ont mis en cause l’impartialité du BEA, accusant l’agence de protéger Airbus et Air France en concluant que le drame a été principalement causé par la négligence des pilotes.
Luis Claudio Lupoli, colonel aviateur de la réserve, qui était le représentant brésilien au sein de l’enquête du BEA, indique que l’un des principaux points de conclusion de l’agence sur l’accident était que Bonin a piloté l’avion en manuel après la perte des indications de vitesse, ce qui a entrainé la perte de l’avion.
Lorsque les capteurs Pitot sont tombés en panne, le pilote automatique a cessé de fonctionner, c’est comme si le système disait : ‘Je suis fou, alors prends le contrôle manuel de l’avion’. Le pilote aurait dû regarder l’horizon de vol et maintenir l’altitude. Mais il a eu peur, craignant peut-être de dépasser la vitesse structurelle maximale, et a « rattrapé » l’avion, tiré vers le haut, grimpant à une altitude de 38 000 pieds. Avec l’air raréfié, l’avion a perdu son soutien et ne pouvait plus se soutenir dans les airs.
Luis Claudio Lupoli
Il ajoute que le capteur Pitot a dégelé peu de temps après, donc si la manœuvre n’avait pas eu lieu, la situation aurait pu être maîtrisée. « On a même soulevé une question d’ergonomie, de psychologie, qui est la tendance de l’être humain à tirer, à ne pas laisser l’avion piquer, à ne pas tomber », dit Lupoli.
Un expert en accidents d’aviation qui travaille dans l’industrie depuis des décennies, mais préfère ne pas être nommé, affirme que les enquêtes ne répondent pas à des questions cruciales telles que : pourquoi les capteurs Pitot n’ont pas été remplacés auparavant, quand il y avait des recommandations pour échange ; et pourquoi le commandant de bord n’était pas dans le cockpit.
Crash AF447, un long procès
Les deux compagnies, Air France et Airbus, ont été mises en examen en 2011 pour « homicide involontaire ». Mais en 2019, les juges ont rejeté les accusations et classé l’affaire sans suite, arguant que l’enquête n’avait pas permis d’établir la responsabilité pénale des compagnies « en lien avec les pannes de pilotage qui ont provoqué l’accident ».
Mais cette première décision, qui a provoqué la révolte des membres des familles et des syndicats de pilotes, a été annulée dans une demande d’appel en mai 2021. Des groupes de soutien aux victimes ont affirmé que la décision avait été corporatiste.
Le parquet a fait appel de la décision et a ouvert la voie à la réouverture du procès, dont la décision sera rendue ce lundi 17 avril 2023.
Air France et Airbus ont toujours été des partenaires commerciaux et nient toute responsabilité dans l’accident et la transfèrent aux pilotes.
Les rôles des pilotes et la panne du capteur Pitot seront des points cruciaux pour l’issue du procès.
Les sociétés peuvent être condamnées à une amende de 225 000 € chacune. Mais aucun scénario n’est exclu : le tribunal peut condamner les deux sociétés, n’amender qu’une seule et pas l’autre, ou disculper les deux.
Les proches des victimes ont déjà affirmé que le montant de l’amende est négligeable. Le montant équivaudrait à seulement deux minutes de revenus d’Airbus avant la pandémie et à cinq minutes de revenus de billets d’Air France. Des règlements à l’amiable impliquant une indemnisation plus importante ont également été conclus. Le montant total n’a pas été divulgué.
Le crash du vol AF447 a entraîné d’énormes changements dans la formation du personnel. Le modèle Airbus a été remplacé partout dans le monde, des améliorations ont été mises en œuvre dans la localisation des avions. La formation des pilotes aux situations de stress et aux situations de décrochage, lorsque l’avion perd de la portance, a été entièrement revue.
Un point de vu technique sur le crash du vol AF447 disponible ICI