Crash de Dubaï : précisions sur l’automanette
Décidément, ce crash sort du commun des accidents et il interpelle grandement, tant que les enregistreurs de vol n’auront pas dit tout ce qu’ils ont à dire.
En attendant, avec les quelques données dont nous disposons, la confrérie des pilotes essaye de comprendre ce qui s’est passé. C’est normal, non pas pour faire porter le chapeau à qui ou quoi que ce soit, mais pour comprendre pourquoi l’interface entre les pilotes et l’avion n’a pas bien fonctionnée, afin d’en tirer leçon.
Pour ma part, je n’ai pas été qualifié sur Boeing 777 et tout naturellement, j’essaye de m’appuyer sur les « sachants » que sont mes collègues qualifiés sur cet avion. Et comme il commence à faire parler de lui, il est temps que je complète de façon systématique ma connaissance de cet avion ! Je serais donc ravi pour cette qualification de type qui manque à ma panoplie qu’ un collègue m’envoie une clé USB contenant le FCOM (Manuel de Vol).
Cela faciliterait mes cogitations ! Qu’il me contacte sur mon mail : jumboroger@orange.fr. Merci d’avance.
Essayons donc de clarifier les données de cet « operational incident »
C’est ainsi que l’appelle la Direction d’Emirates, qui a le gout de la litote. Dans un de ses films, Michel Audiard aurait dit « Tu aurais vu la gueule de l’incident ! »
Dans mon document précédent du 23 août « Crash à Dubaî : hypothèses » j’ai mis en avant deux hypothèses, qui pouvaient peut-être se cumuler :
- La première, présentée par le Captain Bailey, ex Emirates senior pilot était que les pilotes avaient appuyé sur TOGA pour remettre les gaz après un rebond, mais ils auraient appuyé sur TOGA pendant que l’avion était au sol et qu’il était donc inhibé. Apparemment, ils auraient cabré l’avion et rentré les trains trop rapidement, jouant seulement de leur énergie cinétique pour cette courte montée. Leur intervention manuelle tardive sur les manettes des gaz n’avait pas pu empêcher le crash.
- La seconde, émanant de Berger, CDB B777 d’Air France reposait sur l’hypothèse que l’avion avait subi un violent Wind Shear lors de la remise de gaz, qui l’avait expédié au tapis alors que le train rentrait, après une procédure académique.
Plusieurs interventions reçues de pilotes de Boeing 777 apportent des éléments intéressants, qui sont les suivants :
- Le TOGA est déconnecté si on remet manuellement les manettes de poussée en avant.
- De même, si on utilise les reverses lors de l’atterrissage, ce qui évite par exemple de mettre TOGA par mégarde au moment où on arrive devant l’aérogare !
- Le TOGA est actif si on le presse avant que les roues touchent le sol, mais quand on passe sous la hauteur de 2 pieds, le TOGA se devient inhibé.
- Si l’avion fait un rebond, le TOGA va pouvoir être activé à nouveau dès que l’avion est en l’air. Le B777 Emirates était du type 300, propulsé par 2 moteurs Rolls Royce de 92 000 lbs de poussée chacun, moins puissant que le modèle B777 300ER qu’utilise Air France avec 2 moteurs monstrueux de General Electric de 115 000lbs de poussée unitaire. Ces deux types d’avion ont un couple cabreur tellement puissant lors d’une remise de gaz que le constructeur limite le vario à 2 000 pieds/minute, pour éviter que la queue touche le sol lors de cette manœuvre !
- Si le pilote veut la pleine poussée, il lui suffit d’appuyer une deuxième fois sur TOGA.
- Si l’avion détecte un Wind Shear, il passe de lui-même en pleine poussée.
- Important : Le Manuel de vol de Boeing précise que la notion de vario positif pour rentrer le train est assortie d’une certitude que l’avion a réellement une trajectoire ascendante (donc une confirmation à l’altimètre). En effet, l’avion est tellement long que la simple mise en rotation fait s’élever les sondes statiques et le vario réagit instantanément alors que le train est encore au sol.
Conclusions de ces données du Manuel de vol :
Ces données complémentaires ci-dessus permettent d’étayer les deux hypothèses :
Selon le Captain Bailey : le TOGA aurait été inhibé en passant 2 pieds avant le toucher sur la piste. Pour remettre les gaz, il ne suffisait donc pas d’appuyer sur TOGA, il fallait pousser les deux manettes en avant pour installer la poussée de remise de gaz.Les pilotes n’auraient pas respecté les instructions de Boeing de vérifier avec l’altimètre une montée effective avant de rentrer le train.
On a du mal à imaginer des pilotes se mettant en l’air, rentrant les volets à 20° (Peut-être) et le train, sans s’être assurés de la poussée des moteurs, mais ce n’est pas impossible.
Selon le Captain Berger et d’autres pilotes : une remise des gaz effectuée de façon académique : TOGA / Volets 20° / Trajectoire ascendante / Rentrée du train, mais qui se heurte à un Wind shear scélérat, qui détruit le vario de 2 000 pieds/minute managé par l’automanette et le transforme en vario négatif, qui aplatit l’avion au sol pendant que les trains sont en mouvement de rentrée.
Il est fort possible que les pilotes n’aient pas utilisé la possibilité de remettre la pleine poussée en appuyant une deuxième fois sur TOGA, mais s’il y avait un Wind shear, cette opération aurait dû être automatique.
Dernière possibilité : une combinaison de ces deux versions !
À suivre !!