Jean Belotti, ancien élève de l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile, ancien Commandant de bord Air France, docteur d’Etat es-sciences Economiques, diplômé du Centre Français de Management, ancien chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonnne, expert près les Tribunaux Administratifs de Fort de France, Basse-Terre, Cayenne et Saint-Pierre et expert Honoraire près la Cour d’Appel de Basse-Terre répond aux questions. Vous pouvez découvrir son dernier ouvrage ici: https://www.pnc-contact.com/2013/01/23/transport-aerien-jean-belotti-11813
Question : Ayant vu des photos de l’A400M, j’ai remarqué que ses hélices étaient différentes de celles d’autres avions. En connaissez-vous la raison ?
Réponse : Il s’agit de pales d’hélices dites « en sabre”. Elles sont plus résistantes et donnent une surpuissance, avec un diamètre réduit. En effet, réduire le diamètre de l’hélice permet d’augmenter sa vitesse de rotation et sa forme permet, également, un meilleur freinage au moment de l’atterrissage, lorsque les hélices passent au petit pas sol. Elles sont fabriquées par Ratier-Figeac et les moteurs par un consortium Rolls-Royce, MTU (Motoren Turbinen Union) et Snecma (Safran).
Question : Quelle différence faites-vous entre les farfadets et les feux de Saint Elme ?
Réponse : Comme expliqué dans ma chronique du mois passé, les farfadets sont des phénomènes de fluorescence optique provoqués par des décharges électriques au cours d’orages sous-jacents. Ils ne sont pas visibles depuis la terre. Ils n’ont d’ailleurs été découverts qu’il y a à peine vingt ans, par des chercheurs Américains qui filmaient le lancement d’une fusée. Depuis deux ans, le satellite Formosat-2 en a enregistré plusieurs dizaines de milliers. Il en résulte que le taux global d’occurrence est estimé, par les spécialistes, à plusieurs millions d’événements par année.
Quant aux feux de Saint-Elme, ils sont d’origine tout à fait différente de celle des farfadets. En effet, “il s’agit d’une manifestation de l’effet de couronne, qui se produit lorsque le champ électrique à proximité d’un conducteur est assez fort pour provoquer une décharge dans l’air ambiant et ainsi stimuler les molécules de l’air qui émettent alors une lumière caractéristique”. Ils se manifestent sur les mâts des navires et sur les avions, lorsque, volant dans les nuages, ils se rapprochent du cœur des cumulonimbus, ces énormes nuages accompagnés d’éclairs (ma chronique d’octobre 2011, traitait de leur dangerosité). Les pilotes en sont généralement avertis par la présence de “feux de saint Elme” apparaissant sur leur pare-brise ou une sorte de dague bleuâtre, plus ou moins longue, se formant sur le nez de l’avion, ce qui signifie l’imminence de l’éclair. Les passagers peuvent en voir sur les ailes.
[✈Tarif des low-cost]. Question : Je reviens vers vous au sujet des low-cost, en posant la question de savoir s’il ne s’agit pas de tarifs inférieurs à leur prix de revient ?
Réponse : Dans cette hypothèse, il s’agirait donc de “dumping”, pratique commerciale contraire à l’esprit de concurrence et interdite par les réglementations nationales ou internationales. Mais, cela ne peut pas être le cas, étant donné que les principales low-cost connues font des bénéfices. Sauf, comme d’aucuns l’ont imaginé, à savoir, existence d’une société mère qui, souhaitant maintenir en vie une filiale pour diverses raisons (politiques, de prestige, …), ferait régulièrement des apports financiers permettant, par des jeux d’écriture, de déclarer que sa filiale est bénéficiaire. Mais ceci est une hypothèse utopique non recevable.
Sans connaissance des comptes d’exploitation des low-cost, il n’est pas possible d’en faire une analyse complète et rigoureuse, ni de faire une comparaison avec une compagnie régulière. Cependant, avec les principaux postes de dépenses connus, même approximativement, tels que les coûts carburant, salaires, taxes,… on constate que les coûts des low-cost (fixes et généraux) sont nettement inférieurs. C’est ainsi que pour un avion d’environ 160 sièges, de 8.000 € à l’heure de vol, on tombe à moins de 5.000 €, chiffres volontairement arrondis. Pour une étape moyenne de 1h50, cela donne un coût total approximatif de 9.000 €. En tenant compte que la presque totalité des sièges est occupée, le transport d’un passager revient donc à environ 55 €.
En conclusion, ce calcul grossier permet cependant de conclure qu’en ajoutant les recettes des prestations annexes (dont certaines dépassent le prix du billet), les low-cost peuvent effectivement réaliser des profits. Il ne pouvait d’ailleurs pas en être autrement ! D’ailleurs, Transavia France (filiale à bas coûts d’Air France et de Transavia Hollande) en est un exemple (voir la création d’une nouvelle « Low cost » hybride, dans ma chronique de mars 2007, figurant dans le Tome 2 “47 chroniques de 2003 à 2008″. Édition VARIO). En effet, Transavia a dégagé des bénéfices en 2012, grâce à un chiffre d’affaires, dont environ 20% proviennent desdites recettes annexes.
[✈Limite à la réduction des coûts]. Question : Vous avez commenté, de nombreuses fois, la pratique des compagnies consistant à réduire leurs coûts. Mais n’y a-t-il pas d’autres postes sur lesquels il est possible d’agir pour assurer leur pérennité ?
Réponse : Un bref rappel. Le marché du transport aérien se situe dans un régime de concurrence dite “imparfaite”, plus précisément, d’“oligopole restreint”, système dans lequel quelques concurrents se font essentiellement une concurrence par les coûts. Celui qui ne peut les réduire suffisamment devient vulnérable et peut disparaître du marché. Après la “dérégulation” Carter, une guerre tarifaire permanente – fomentée par l’esprit de surenchère – s’était déclenchée aussitôt, avec une tarification discriminatoire, une hétérogénéité de la structure des tarifs et des baisses telles qu’elles conduisirent à d’importants déficits d’exploitation. Il en résulta la disparition de dizaines de compagnies à la suite d’OPA (Offre publique d’achat) et OPE (Offre publique d’échange). C’est exactement ce qui s’est produit aux États-Unis, où 60% des 230 compagnies américaines furent absorbées par d’autres compagnies, devenues plus puissantes. Voilà la principale raison : réduire les coûts ou disparaître.
Cela étant dit, pour démontrer que ces réductions des coûts ne sont pas, à elles seules, la panacée, il suffit de rappeler les faits suivants :
1.- Elles ne peuvent porter que sur la partie ajustable du compte d’exploitation (généralement inférieure à 50%).
2.- Une fois le niveau de compressibilité atteint, elles ne sont plus renouvelables.
3.- Les faits montrent qu’elles conduisent souvent à une dégradation du service, voire de la sécurité, ce qui, malheureusement, ne peut être constaté qu’à la suite d’un grave incident ou d’un accident.
4.- Elles ont de nombreux effets pervers sur le personnel, dont je vous fais grâce, ici, les ayant déjà commentés à plusieurs reprises.
5.- Une fois les coupes sombres effectuées, le manque de personnel qualifié conduit l’entreprise à avoir recours à la sous-traitance qui, soit est plus coûteuse, soit n’ayant pas le même niveau de qualification, conduit à une dégradation de la prestation.
6.- S’étant séparée de ses personnels les plus qualifiés, les plus expérimentés, possédant le “savoir-faire”, les plus dévoués à l’entreprise, il en résulte que lors de la reprise du trafic, la compagnie est contrainte à procéder à des embauches, dont le niveau n’est pas celui espéré, d’où une moins bonne efficience.
Alors, sur quoi agir pour améliorer la productivité afin d’assurer la pérennité de l’entreprise ?
En fait, l’offre de transport de passagers n’est pas un même produit dit “homogène”. Les produits offerts sont différenciés (classes, dessertes, horaires, service à bord, …), ce qui conduit à une situation dite d’“oligopole différencié”, dans laquelle, une disparité entre les tarifs pratiqués par les concurrents n’entraîne pas, automatiquement, un déplacement de toute la clientèle, vers le produit le moins cher.
Ce sont donc sur les fréquences, les horaires, la ponctualité, le confort, les prestations, la qualité du service au sol et à bord, la sécurité, et avantages divers qui, étant perçus par les passagers, contribuent à valoriser l’image de marque de l’entreprise. Les compagnies en sont bien évidemment conscientes ! C’est ainsi que le directeur général commercial d’Air France à déclaré que la réduction des coûts était une question de survie, « mais qu’il fallait également améliorer le produit pour repositionner la compagnie parmi les meilleures mondiales en termes de qualité de services, de confort du siège, de services au sol, de qualité des repas,… « .
Ici, je n’insisterai que sur deux points : le personnel et les synergies.
1.- Tout d’abord, il convient de reconnaître que le bon fonctionnement d’une entreprise n’est assuré que s’il existe une adhésion des personnels à ses objectifs. Pour ce faire, ils doivent être motivés et leurs efforts récompensés à leur juste valeur chaque fois qu’ils ont contribué à une meilleure efficience du système en place. Dans les facteurs de production (carburant, matière premières, électricité,…) dès que l’un n’est plus disponible, la production s’arrête instantanément. Or, le personnel, lorsqu’il a atteint les seuils réglementaires, peut encore être sollicité, par exemple en effectuant des heures supplémentaires. Cette possibilité de dépasser ou de réduire le temps de travail réglementaire donne à l’entreprise une flexibilité indispensable à l’adaptation de sa production à la demande. D’aucuns s’accordent qu’il y a de nombreux efforts à faire dans ce domaine, dans l’intérêt des deux parties, employeurs et employés.
Passons du quantitatif au qualificatif. Le comportement des personnels en contact avec la clientèle est un critère auquel les passagers sont très sensibles. Combien de fois n’ai-je pas vu des passagers mécontents, qui, après avoir été renseignés, rassurés, assistés par un agent au sol ou à bord (hôtesse ou steward), l’ont remercié pour toute l’attention qui leur avait été accordée et assuré de leur fidélité à la compagnie. Bien que non quantifiable, l’existence de tels comportements a un rôle important dans l’efficience de la compagnie. Malheureusement, il n’est pas pris en compte !
De plus, force est d’admettre que les plans drastiques de compression des personnels (insécurité de l’emploi, blocage des salaires, suppression des primes,…), ne sont pas de nature à encourager les personnels à donner le meilleur d’eux-mêmes.
2.- Un domaine également important non pris en compte est celui des synergies. Il y a quelques années, ayant, fait ce constat dans plusieurs grandes entreprises où j’étais intervenu en tant que consultant, j’avais décrit les différentes synergies pouvant être exploitées à l’intérieur de l’entreprise dans un ouvrage (« La synergie dans l’entreprise ». Hermès – Lavoisier. 2006).
[✈Projet de Loi : information des passagers Liste noire]. Question : Alors que des compagnies aériennes sont interdites en Europe, il reste que la fin du voyage peut se faire sur une compagnie figurant sur la liste noire européenne !
Réponse : Exact. Cela se produit dans certains pays, dont il est possible de consulter la liste en entrant sur le site : (« ec.europa.eu/transport/modes/air/safety/air-ban/index_fr.htm »).
Or, bonne nouvelle. Après une attente de deux ans, la proposition de loi de la députée Odile Saugues (spécialisée dans le transport aérien) a été votée par le Sénat. Elle vise à renforcer l=information des voyageurs lors de la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l=Union européenne. Le texte oblige systématiquement tout voyagiste à informer du nom de la compagnie aérienne, et du fait quelle soit ou non répertoriée sur la liste noire communautaire, sous peine de sanction.
[✈IATA – Bénéfices 2012]. Question : Tenant compte de la sensibilité du transport aérien aux mouvements sociaux, conditions météorologiques, coût du carburant, etc…, est-ce que l’ensemble de la profession peut réaliser des bénéfices, condition indispensable pour que les compagnies puissent financer leurs investissements et rémunérer leurs actionnaires ?
Réponse : La réponse est oui. En effet, malgré les contraintes citées, l’Association internationale du transport aérien (IATA) a effectivement annoncé que les compagnies avaient dégagé, en 2012, un bénéfice net de presque 7 milliards d’US$, montant nettement supérieur à celui prévu initialement. Or, il convient de faire remarquer que ce montant impressionnant ne représente que 1% du chiffre d’affaires, alors que pour couvrir les coûts du capital, il devrait être, selon l’IATA, de l’ordre de 7 à 8%. Quelques éléments de réponses expliquent ces résultats :
1.- Les compagnies ont profité du taux de croissance du trafic aérien qui, bien qu’étant sur une pente descendante (il était de 5,9% en 2011 et il est estimé à 5,3% en 2013), a conduit à transporter plus de 3 milliards de passagers dans l’année.
2.- Aux États-Unis, elles ont également profité des plans de restructuration associés à la suppression de nombreux postes, mais aussi, et surtout, d’un mouvement de consolidation prévisible (fusion aux États-Unis, depuis 2008 : Delta-Northwest, United-Continental, Southwest-Air Tran). Il en est résulté la possibilité de baisser les coûts unitaires et d’optimiser les capacités, conduisant à une augmentation de la recette unitaire.
3.- Les voyageurs d’affaires, dont l’apport est important pour les compagnies, ont été présents, avec un taux, certes réduit, mais quand même de 3 à 4%.
4.- Alors que les compagnies asiatiques et du Golfe enregistrent également des bénéfices, il reste qu’en Europe, seules les low-cost s’en sortent. En effet, l’Association des compagnies européennes (AEA) qui ne regroupe que les compagnies traditionnelles, a déclaré qu’elles vont collectivement enregistrer une perte d’exploitation. Quand à l’Afrique, elle enregistre la plus mauvaise performance.
5.- En ce qui concerne le transport de marchandises, il est descendu à 2% en 2012, recul qui provient, selon l’IATA, de la croissance des pays émergents, dont une grande partie des biens importés et exportés peuvent se contenter du transport maritime, moins cher. Pour autant, il existe de très nombreux produits dont les caractéristiques (fragilité, produit périssable, urgence, …) font que le transport aérien reste la solution la mieux appropriée (mon ouvrage : « Le Transport international de marchandises ». Vuibert – 4ième édition – 2012).
[✈Limitation des vols cause neige]. Question : À la fin de la première semaine de février, à la suite des chutes de neige annoncée, le ministre a, une nouvelle fois, fixé un pourcentage de vols à effectuer. « bis repetitas » ! Or, il s’est « planté », puisqu’il a levé ses restrictions dès le lendemain. Il est quand même surprenant que les arguments présentés dans votre chronique ne soient pas pris en compte ?
Réponse : Notez cependant que, cette fois, les médias n’ont pas cité le ministre, mais la DGAC ! Météo-France ayant lancé le niveau 3 du plan neige ou verglas, la DGAC a effectivement demandé, le samedi 9 février, une réduction des vols de 20% à Orly et de 30% à Roissy. Or, la situation météorologique s’étant moins aggravée que prévu, les interdictions de vol ont été levées et celles de Roissy ramenées à 20 % du programme.
Certes, cette rapide réaction démontre que la DGAC a suivi de très près l’évolution de la situation et on ne peut que s’en féliciter. Il reste que, pris à la lettre, les quotas arbitraires fixés par l’Administration de tutelle auraient pu conduire à la suppression de vols qui auraient très bien pu être réalisés en toute sécurité. Cela étant dit, les responsables des aéroports d’Orly et de Roissy sont, eux aussi, tenus au courant, en temps réel, de l’évolution de la situation et la logique la plus élémentaire est d’admettre que la décision de fixer le nombre de vols pouvant être réalisés en toute sécurité leur appartient.
Quant à la prise en compte de mes arguments – n’étant qu’un simple chroniqueur ne représentant aucune institution, organisme, entreprise ou association – je n’ai pas le sentiment qu’ils soient lus à ce niveau de responsabilité. Le seraient-ils, qu’ils seraient écartés, ne s’intégrant pas dans la politique de la maison, dont celle d’ouvrir – probablement à juste raison – le parapluie du “principe de précaution” (voir ma chronique “étude du danger” de novembre 2001 – dans Tome 1 – 34 chroniques aéronautiques – 1999 à 2003. Editions VARIO).
[✈Fusion AA et US AW]. Question : La fusion d’American Airlines avec US Airways va constituer la plus grosse compagnie mondiale de transport aérien, manifestation de l’hégémonie américaine. Quel est le danger pour nous européen et comment en est-on arrivé là ?
Réponse : Ayant longuement décrit le processus ayant conduit à de telles consolidations, je n’en dirai, ici, que quelques mots. La révolution industrielle du XIXème siècle a vu la création de milliers d’entreprises. Depuis cette époque, au fil des ans, un phénomène de concentration s’est développé un peu partout dans le monde. C’est alors que dans le cadre de ce qui a été dénommé la “globalisation” s’est développée, entre compagnies, une coopération (commerciale, assistance en escale,…) qui a débouché sur des alliances, prises de participations, créations de filiales, fusions. Cette “globalisation” peut être considérée comme les prémices d’une coopération, qui allait être encore plus poussée. Comme, par exemple, l’émergence des alliances globales, constituant, en fait, des hyper-groupes (SkyTeam, OneWorld, Star Alliance, l’Alliance, Wings, Qualiflyer Group) renforçant leur domination des marchés. Il en résulta la disparition de très nombreuses compagnies, des plus grosses (TWA, PanAm aux États-Unis, Swissair, Sabena en Europe) aux centaines de plus petites.
Venons-en à votre question. Après la fusion d’AMR (maison mère d’AA) avec US Airways, il ne reste, désormais, de l’oligarchie de quelques “majors”, que trois groupes : AMR, Delta (qui, en 2008 avait fusionné avec Northwest) et United (qui, en 2010 s’était rapprochée de Continental). Confrontés aux low-cost (entre autres, Southwest, JetBlue, …), ils ne manqueront pas de développer leur activité internationale. Il est vrai que, d’après l’IATA, le couple American-US Airways possède déjà 5% des capacités mondiales en SKO (Sièges kilomètres offerts), devant United (4,8%), Delta (4,6%), Emirates (3,4%), Lufthansa (2,8%, mais sans Swiss, et Austrian), Southwest (2,6%, sans Air Tran), et Air France (2,3% sans KLM) au même niveau que British Airways.
On notera que la fusion ayant abouti à la constitution de cette “big one” a été obtenu avec l’accord des pilotes, leur syndicat ATA (Allied Pilots Association d’American Airlines) ayant signé un protocole d’accord salarial.
Il reste que de nombreux problèmes devront être abordés, comme par exemple celui de la diversité des flottes : American dispose d’une flotte “Boeing” homogène, alors que celle d’US Airways comprend une proportion importante d’avions de construction étrangère. Par ailleurs, dans ces mastodontes (près de 7.000 vols quotidiens, 350 destinations avec 1.500 avions et 100.000 employés), il existe également des dé-économies d’échelle, dont il est rarement fait état.
Pour nous, en Europe, la nouvelle “big one” sera un concurrent non négligeable, mais pas plus que les compagnies asiatiques et celles du golfe qui sont de plus en plus performantes et présentes.
Pour terminer, je vais rappeler ce paradoxe : Alors que les États-Unis – pour laisser s’instaurer une saine concurrence – ont été les premiers à voter, il y a plus d’un siècle, une loi anti-trust (“le Shermann act”), ce sont eux qui, avec la “dérégulation” ont permis l’émergence de méga-compagnies, constituant des quasi-monopoles prêts à dominer le marché international.
[✈Low-cost long courrier]. Question : Les compagnies low-cost ayant le vent en poupe, cela n’est-il pas propice à la venue sur le marché de low-cost long-courrier ?
Réponse : Elles existent déjà ! Et cela, bien que le modèle low-cost court et moyen courrier, ne soit pas directement transposable aux vols long-courriers (non retour quotidien à la base, d’où des frais d’hébergement des équipages ; travail de nuit des navigants et des personnels au sol, donc coûts plus élevés, frais de stationnement plus élevés, quasi impossibilité d’adopter les mêmes espacements minimum entre les sièges, impossibilité de supprimer le repas chaud, sauf à le faire payer ! …). Certaines ont été créées ex nihilo. D’autres sont des compagnies de diverses tailles qui se sont reconverties. D’autres sont des filiales de grandes compagnies – dont la dénomination de la Commission européenne est maintenant : “Full Service Network Carriers” (FSNC) – qui ne sont ni “Charters”, ni low-cost “Low-Cost Carriers (LCC)”, ni régionales “Regional Carriers (Regionals)”.
Mais plusieurs de ces premières tentatives ont échoué. De mémoire, Air Madrid en 2007 (après deux ans d’exploitation) ; Oasis Hong Kong Airlines, en 2008 (après 3 ans d’exploitation), la canadienne Zoom Airlines, en 2008 (après 6 ans d’exploitation), également Viva Macau, se sont vues retirer leur licence d’exploitation. En 2008, la compagnie Oasis qui assurait la liaison Hong-Kong / Londres à très petit prix, a fait faillite, après seulement 18 mois d’exploitation.
En revanche, l’Asie est porteuse de projets low-cost long courrier, que je désignerai désormais par LCLC. La compagnie japonaise ANA avait prévu, par exemple, de lancer, dès 2012, une filiale Peach Aviation. En février 2011, le premier avion de filiale à bas coût d’Air Asia – nommée AirAsiaX – s’est posé sur l’aéroport d’Orly, inaugurant la ligne Paris-Kuala Lumpur. Mais en mars 2011, la ligne a été supprimée, le transporteur ayant préféré se concentrer sur ses marchés principaux situés en Asie. Singapore Airlines avait aussitôt réagi, en annonçant la création d’une LCLC.
En Australie, la low-cost JetStar Airways, filiale de Qantas, a dévoilé son projet de LCLC vers l’Europe au départ de Singapour. La low-cost Scoot, quant à elle, a inauguré un premier vol entre Singapour et Sydney.
Aux États-Unis, Southwest – créatrice du concept low-cost – a annoncé préparer des vols vers l’Europe…. La concurrence viendra de partout…
En Europe, est envisagée, en 2012, la création d’une LCLC suisse, FlyA.
La low-cost Norwegian avait prévu de desservir New-York et Bangkok, grâce à l’arrivée de huit Boeing 787 Dreamliner. Or, les problèmes rencontrés par cet appareil, vont automatiquement retarder ce projet.
En France, il y a Transavia, dont j’ai déjà parlé.
Il convient également de citer XL Airways. Après le lancement des lignes Antilles et Réunion qui a tenu ses objectifs, les nouveaux actionnaires de la compagnie (fonds d’investissement participatif BeachSide) croient au modèle LCLC sur lequel son directeur général, Laurent Mangin, a basé sa stratégie. En ayant planifié un agrandissement de la flotte (un A330 par an jusqu’à une dizaine d’appareils), il envisage, avec l’arrivée d’un nouveau A330-300 mono-classe, densifié à 408 sièges, de desservir, l’hiver la République dominicaine et l’été New York. Nul doute qu’avec, à sa tête, un homme dont l’expérience du monde de l’aviation est bien connue, la compagnie va pendre une place de plus en plus importante sur les vols transatlantiques des LCLC.
On voit que le modèle LCLC attire de plus en plus d’investisseurs. La question qui se pose est de savoir, par exemple, en Europe, sur la trentaine de compagnies low-cost, considérées comme solides, combien seront prêtes à se lancer dans le long-courrier ? La première à laquelle on pense est Ryanair qui, d’ailleurs, a déjà évoqué son projet de relier huit villes européennes à huit villes américaines.
Finalement, le concept LCLC est-il viable ? Il le sera dès lors qu’il commencera à attirer une nouvelle clientèle moins exigeante (étudiants, jeunes couples en parfaite santé acceptant de voyager dans des conditions moins confortables,…) ; que seront appliquées toutes les autres recettes complémentaires des low-cost actuelles, ainsi que toutes celles qui pourront être retirées des nombreux produits annexes imaginables sur long courrier (prix du repas, grille de taxation des bagages en fonction de certains critères, location d’ipad, réservation du siège, accès à Internet, …).
Il reste que si l’on tient compte des améliorations de productivité déjà obtenues par les FSNC, il en résultera des tarifs sensiblement identiques, à quelques dizaines d’euros près. À ce moment là, il est fort probable que ce sera l’image de marque de la compagnie qui sera prédominante par rapport au prix du billet.
En conclusion, les LCLC – après des regroupements qui ne manqueront pas de se produire – avec leurs spécificités, occuperont un créneau en dessous des vols des FSNC, auxquels une large clientèle demeurera fidèle. Il reste à espérer que la réduction des coûts ne touchera pas ceux de la formation et de la maintenance et que l’augmentation de productivité des équipages par allongement des durées de vol admissibles, n’aura aucun impact sur la sécurité aérienne.
[✈Low-cost : zéro accident]. Question : Les low-cost, comme par exemple Ryanair et EasyJet, avec zéro accident, font donc mieux que les autres et pourquoi ?
Réponse : Effectivement, ce bon résultat a même été reconnu par le président d’Air France qui a déclaré : “Le succès des compagnies à bas coûts en Europe ne s’est pas fait au détriment de la sécurité”.
Bien qu’ayant déjà longuement abordé ce vaste sujet dans mes écrits, venons-en à la question.
Le médecin s’intéresse aux maux de son patient en lui prescrivant des médicaments. Transposé dans le transport aérien c’est l’ensemble de la communauté aéronautique qui s’intéresse aux accidents aériens afin d’éviter leur renouvellement. Ainsi, force est de constater que, généralement, le commun des mortels s’intéresse plus à ce qui ne va pas qu’à ce qui va !
Cela étant dit, puisque, à l’inverse, la question porte sur ce qui va, voici quand même quelques éléments de réponse.
Si vous demandez à un médecin pourquoi son patient est en bonne santé, il vous répondra que c’est parce qu’il a bénéficié d’un patrimoine héréditaire favorable et parce qu’il a une bonne hygiène de vie. Transposé au transport aérien, on dira que si une compagnie n’a pas eu d’accident s’est parce qu’elle a de bons avions, de bons équipages et qu’elle respecte les normes, règles, textes, etc…, régissant la profession. Cette conclusion s’applique donc aux deux compagnies qui sont citées et on pourrait s’arrêter là.
Mais, dès lors que l’on fait une comparaison avec “les autres”, il convient de dire de qui il s’agit ? Forcément, des compagnies dites traditionnelles. Or, depuis quelques années, presque toutes les compagnies ayant eu des accidents sont celles qui, figurant sur la liste noire, sont interdites en Europe. Quant aux autres compagnies faisant partie des pays industrialisés, elles ont enregistré des scores tout à fait encourageants, puisque se rapprochant du zéro accident. C’est ce qui ressort de l’analyse des récentes statistiques annuelles. Finalement, il n’y a pas que les low-cost qui n’ont enregistré aucun accident, mais la presque totalité des compagnies traditionnelles mondiales. Ceci explique que, pour fournir une information plus complète au grand public la question suivante permettrait d’apporter une réponse plus globale : “Les compagnies traditionnelles et les low-cost des pays industrialisés se rapprochant du zéro, se pose la question de savoir pourquoi ?”.
Restons donc dans la recherche du “Pourquoi”, en indiquant qu’il serait possible d’affiner l’analyse, dans les deux cas suivants :
1.- Tout d’abord, en s’intéressant au nombre d’incidents. Certes, un accident peut très bien survenir sans qu’il y ait eu d’incidents antérieurs. Cela étant, il est cependant instructif de connaître la tendance : aggravation ou réduction. En effet l’éventuel constat d’une augmentation des incidents révélerait une situation potentielle d’aggravation du risque. Malheureusement, la traçabilité des incidents n’est pas encore complète et, de toute façon, ils ne figurent pas dans les statistiques annuelles présentées par différents organismes. Leur prise en compte permettrait pourtant à l’enquêteur de conclure que “la compagnie concernée n’a pas eu d’accident, car aucun incident antérieur n’a été relevé…”, ou “… car le nombre d’incidents relevés est en constante régression”.
2.- Puis, en s’intéressant aux pré-incidents, c’est-à-dire à ce qui se passe avant les incidents. C’est à ce niveau que se situent les premières prémices, les premiers prodromes des incidents et accidents. Il s’agit de situations dangereuses desquelles les équipages se sont sortis, avant que ne survienne l’incident ou l’accident. Malheureusement, ici aussi, l’information en “feed-back” des équipages concernant ces cas de “pré-incidents” étant quasiment inexistante, il ne peut donc y avoir de “suivi” de leur évolution.
En revanche, on peut s’intéresser au fonctionnement général de l’entreprise qui révélera ou non l’existence de facteurs contributifs à la survenance d’un accident. Il s’agit de causes diverses situées en amont du vol et qui englobent tout le système organisationnel du processus logistique, qui conduit à la réalisation des opérations aériennes. Rappelons que l’accident peut être dû à :
– des causes endogènes, celles qui dépendant de l’entreprise. Exemples : dysfonctionnements, anomalies, impasses dans la maintenance (préventive et corrective), niveaux de formation et de qualification insuffisants, …
– des causes exogènes, celles indépendantes de l’entreprise. Exemples : défaillance ou insuffisance des infrastructures, risque aviaire, …
Les enquêtes ayant relevé quelle était la cause initiale (panne d’un moteur, feu à bord, décrochage de l’avion, …) – qualifiée d’“élément pivot” – la recherche porte sur lesdits facteurs contributifs et c’est la justice qui appréciera l’importance du lien de causalité avec la survenance de l’accident.
Finalement, on voit que répondre au “Pourquoi”, oblige à tenir compte de très nombreux facteurs, ce qui permettrait la réponse suivante : “ La compagnie n’a pas eu d’accident parce qu’elle a de bons avions, de bons équipages et qu’elle respecte les normes, règles, textes régissant la profession ; parce qu’aucun incident ou pré-incident antérieur n’a été relevé ; parce que, dans les causes endogènes, aucun fait potentiel contributif à la survenance d’un accident n’a été relevé”.
Il reste que, même avec une telle rassurante conclusion, il serait impossible d’écarter l’hypothèse selon laquelle, dès le lendemain de ladite déclaration, un accident survienne.
Pour terminer, trois commentaires :
1.- Il a été annoncé que les bons résultats des low-cost citées seraient dus à l’existence d’une jeune flotte d’avions. Or, il n’y a pas de lien entre l’âge d’une flotte et la survenance d’un accident, dès lors que les programmes spéciaux de surveillance et d’inspection des avions ayant dépassé un certain nombre d’heures de vol, ont été respectés. Dès 1990, j’ai démontré qu’aucun accident n’avait été imputé à la vieillesse d’un avion bien entretenu (mon article “Le vieillissement des avions”. Revue « Transports » N̊ 344 – nov-déc 1990), ce qui a été confirmé, en 1998, par Tom Cole de Boeing (“The physical life of an airplane isn’t limited if it’s properly maintened”).
De plus, il est facile de prendre le contre-pied d’une vieille flotte, en montrant que, précisément, c’est au cours de leurs premières années d’existence que les avions présentent des “maladies de jeunesse”, surtout lorsqu’il s’agit de nouveaux types d’avions, dont les systèmes ne sont pas toujours complètement “débogués”.
2.- Il a été déclaré que des pilotes desdites compagnies ayant subi des pressions pour embarquer moins de carburant avaient été obligés de se poser en urgence, avant la panne sèche ! Les textes prévoient pour chaque vol une quantité minimale à embarquer. Cette quantité permet, par beau temps, de se poser avec des réserves non consommées. Même si le commandant de bord a grandement majoré cette quantité, il peut, dans certaines situations (dégradation de la situation météorologique, piste inutilisable ou encombré, etc…), être obligé de se poser en urgence sur un deuxième terrain de dégagement, le premier ayant été, lui aussi, inutilisable. Il est inimaginable qu’un pilote accepte d’embarquer moins de carburant que la quantité minimale réglementaire, qu’un chef pilote, un directeur des opérations aériennes, voire le patron de la compagnie, lui en donne l’ordre ou fasse des pressions dans ce sens.
3.- Dès que l’on parle d’accidents aériens, il convient de savoir quelles responsabilités ont été retenues par la justice et, également et surtout, tenir compte de la tendance et non pas d’accident datant d’une décennie qui colle, comme une sangsue, à l’image de marque d’une compagnie, de surcroît lorsque celle-ci n’a aucune responsabilité dans la survenance de l’élément pivot, décrit plus haut.