Question : L’augmentation du nombre d’accidents survenus en 2010 signifie-t-elle une dégradation du niveau de sécurité du transport aérien ?
Réponse : Votre question nous amène à parler de statistiques. Certes, “les statistiques ne consolent pas”, mais elles permettent de suivre l’évolution des tendances et d’en tirer des enseignements. Ayant traité de ce sujet longuement et à plusieurs reprises dans différents écrits, je n’y consacrerai, ici, que quelques lignes. Tout d’abord, l’augmentation du nombre d’accidents sur une seule année ne permet pas de conclure. Il convient de le comparer aux années précédentes. Par rapport aux dix années écoulées (2000 à 2010) 35 accidents survenus en 2010 est effectivement le nombre le plus élevé. Mais est-ce significatif, donc inquiétant ? Ces 35 accidents ont causé la morts de 925 passagers. Or, on note que – par exemple – pendant cinq années (2000 à 2003 et 2005), alors que le nombre d’accidents était inférieur à celui de 2010
(respectivement : 28, 24, 30, 31 et 23), le nombre de victimes dépassait les mille (respectivement : 1092, 1041, 1094, 1069 et 1048). Cela démontre bien que c’est le nombre de victimes qui doit être retenu et non pas le nombre d’accidents. Par ailleurs, un découpage de ces 35 accidents apporte d’intéressantes informations à prendre en compte :
– Tout d’abord, 6 accidents n’ont fait aucune victime. Cela confirme également que le nombre d’accidents n’est pas un critère représentatif du degré de sécurité du transport aérien.
– 8 accidents sont survenus à des compagnies figurant sur la liste noire des transporteurs interdits en Europe. Ils ont fait 91victimes dans des pays qui ne respectent pas les règles européennes.
– 18 accidents, de moins de 20 victimes, ont fait 47 victimes. Il s’agit généralement de petites compagnies (“feeders”), de pays hors Etats-Unis et Europe.
– 11 accidents, de plus de 20 victimes, ont fait 788 victimes. Noter que les compagnies n’étaient, ni américaines, ni européennes et qu’ils se sont produits hors de l’Europe et des Etats-Unis (Liban, Russie, Libye, Afghanistan, Inde, Pakistan, Chine, Cuba, Népal).
En conclusion, les accidents de ces compagnies – figurant ou non sur la liste noire et hors Etats- Unis et Europe – faussent la performance du système du transport aérien civil. En fait, force est de constater que l’Europe (qui a les règles les plus draconiennes) et les Etats-Unis, n’ont été à l’origine d’aucun accident, ce qui est une performance tout à fait remarquable, puisque le risque zéro a été atteint en cette année 2010. Bien sûr, une analyse plus fine conduit à prendre en compte les causes des accidents (facteurs humains, contrôle aérien, défaillances mécaniques, conditions météorologiques, …), voire par type d’avion, compagnie, etc…, afin de révéler les domaines dans lesquels des améliorations peuvent être apportées. Finalement, à l’opposé d’une information susceptible de déclencher une inquiétude résultant de l’annonce d’un nombre élevé d’accidents, se trouve un résultat des plus rassurants. La vérité, c’est que les efforts de tous, depuis des années, ont permis, alors que le nombre de passagers est en constante augmentation, de réduire considérablement le nombre de décès survenus à la suite d’accidents aériens – ce que j’ai démontré à plusieurs reprises – et d’améliorer
la sécurité du transport aérien, lequel reste le moyen de transport le plus sûr.
Question : Puisque des morceaux de la cabine de l’AF 447 ont été retrouvés, les boîtes noires, probablement, le seront donc également. Alors, livreront-elles les informations qu’elles contiennent ?
Réponse : Dès que l’annonce qu’une grande partie de l’épave de l’A330 a été localisée, j’ai été contacté par plusieurs médias souhaitant connaître les chances de récupérer les boîtes noires. À ce jour, personne n’est en mesure d’apporter une réponse. En effet, dans l’hypothèse où les boîtes noires seraient récupérées (car ayant été repérées à proximité de l’épave), il n’y a aucune certitude sur l’exploitation qui pourra en être faite, après presque deux ans d’immersion à une grande profondeur. Par ailleurs, il convient de savoir que les informations recueillies dans les enregistreurs de vol permettent aux experts de constater une succession ou aggravation d’anomalies en fonction du déroulement du temps, ainsi que les dialogues entre les pilotes. C’est précisément parce que l’évolution des constats est enregistrée pendant un certain temps qu’elle permet de découvrir la cause principale de l’accident, ainsi que les facteurs contributifs éventuels. Or, dans cet accident, tout s’est passé très vite, dans un laps de temps extrêmement court, ce qui fait qu’on ne peut pas écarter le cas où :
– l’enregistrement sonore ne permettrait pas d’entendre une éventuelle analyse de la situation par les deux pilotes, mais simplement quelques mots brefs, insuffisants pour conclure ;
– l’enregistrement des paramètres de vol ne montrerait qu’une brutale dégradation, sans que pour autant on puisse en connaître la cause : foudroiement, givrage des sondes, “check-list” appropriée non effectuée, décrochage grande vitesse,…
Laissons oeuvrer les experts dans le calme, en formant le voeu qu’ils réussissent à trouver les causes et facteurs contributifs à la survenance de ce drame, ce qui permettra d’apporter des réponses aux interrogations que se posent les familles de victimes, Ai r France et l’ensemble de la communauté aérienne.
Question : N’est-il pas surprenant qu’Air France ait été mis en examen pour homicide involontaire, alors que l’enquête n’est pas encore terminée ?
Réponse : Il est connu que la Justice, pour “dire le droit”, a besoin d’une certitude dans le lien de causalité entre un événement et ses conséquences. Sans cette certitude, les faits relevés sont inopérants. Or, il serait intéressant de savoir sur quoi s’est fondée la Justice pour conclure à l’existence d’une défaillance justifiant la qualification de faute pénale ? Peut-être a-t-elle eu connaissance du récent rapport de l’ISRT (“Independent Safety Review Team”), groupe indépendant d’experts, dans lequel certaines anomalies flagrantes à Air France auraient peut-être pu être mises en exergue dans le domaine de la sécurité ? Affaire à suivre. Ajoutons que la mise en examen permet à la compagnie d’avoir communication de toutes les pièces de la procédure.
Question : Sans nous dire pourquoi l’épave n’a pas été retrouvée lors de la première campagne de recherche, les autorités ne nous mènent-elles pas en bateau ? Ce qui sera découvert ne sera-t-il pas occulté ?
Réponse : Seules les autorités sont en mesure de répondre à la première question. Quant à l’hypothèse que des éléments de preuve pourraient être dissimulés, falsifiés ou non exploités, elle est totalement non fondée. Je le dirai et le redirai jusqu’à ce que cesse ce type de procès d’intention qui met en cause tous les intervenants. Lors d’un accident, indépendamment des diverses expertises internes diligentées (par la compagnie, le constructeur, le motoriste, l’aéroport concerné,…), il existe deux principales enquêtes :
– L’enquête dite “technique” du “Bureau d’Enquêtes et d’Analyses” (BEA). Elle a pour seul objet de déterminer les circonstances et les causes possibles de l’accident ou de l’incident et, s’il y a lieu, d’établir des recommandations de sécurité, afin d’éviter le renouvellement du même type d’accident sur le même type d’avion. Cela est systématiquement précisé au début de chacun de ses rapports : “Conformément à l’Annexe 13 à la Convention relative à l’Aviation civile internationale et au Règlement européen n/ 996/2010, l’enquête n’a pas été conduite de façon à établir des fautes ou à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives. Son seul objectif est de tirer de cet événement des enseignements susceptibles de prévenir de futurs accidents. En conséquence, l’utilisation de ce rapport à d’autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées”.
– Celle de la Justice, dont l’objet est de rechercher la cause certaine et les facteurs contributifs de l’accident, afin de localiser les éventuelles responsabilités et de dire le droit.
Alors que pendant des années, ces deux enquêtes étaient menées indépendamment l’une de l’autre, une circulaire du Garde des Sceaux aux Procureurs Généraux (du 18 février 2005), a défini les nouveaux modes de coordination et coopération entre l’enquête technique et l’enquête judiciaire. Ainsi, dans la période de recherche des éléments de preuves et des analyses, l’expérience a montré tout l’intérêt d’une telle coopération. Or, participent simultanément à ces travaux les enquêteurs du BEA, la Gendarmerie du Transport aérien (GTA), les experts judiciaires et d’autres organismes. Des centaines de photos sont prises ; tous les éléments de preuve recueillis sont systématiquement mis sous scellés ; des dizaines de compte-rendus sont rédigés ; des dizaines de PV d’auditions de témoins sont établis par la GTA ; les rapports des laboratoires sont analysés par tous les intervenants à l’enquête ; etc… Il en résulte que toute tentative individuelle de falsification serait vouée à l’échec. Quant à l’éventualité d’une complicité collective, des instructions, exécutables instantanément, devraient alors être données, simultanément, à plusieurs organismes (Administration de tutelle, Constructeurs, Gendarmerie, Laboratoires, Justice,…), afin que la cohérence soit conservée entre tous les éléments de preuve. De telles dispositions obligeraient de très nombreuses personnes impliquées dans l’opération, au respect du “secret”. Or, dans le contexte de l’organisation de l’aéronautique civile française, une telle opération est inimaginable, même en supposant qu’elle puisse être motivée par un souci de “protéger” des intérêts économiques ou politiques. En effet, il n’y a pas de réponse à la question de savoir quelle serait la “personne” qui aurait, simultanément, non seulement l’autorité nécessaire pour imposer sa volonté, mais, également, la capacité d’imposer le secret ? Depuis plus de vingt ans que je diligente des travaux avec des enquêteurs du BEA, des ingénieurs et techniciens des constructeurs, motoristes et équipementiers, j’ai pu constater leur haut niveau de conscience professionnelle, leur honnêteté intellectuelle, la rapidité avec laquelle ils ont, tous, accepté de coopérer à la recherche de la manifestation de la vérité. Il en résulte que l’hypothèse d’une participation « volontaire » ou « commandée » de ces personnes à des opérations collectives inavouables est donc à écarter, sans aucune restriction.
Question : Des contrôleurs aériens ont été sanctionnés alors qu’ils dormaient pendant leur temps de service. Après les pilotes qui s’endorment en vol, ce sont aussi les contrôleurs de la circulation aérienne ?
Réponse : Au sujet des pilotes, j’ai répondu dans ma chronique de mars. Au sujet des contrôleurs, quelques-uns d’entre-eux se sont effectivement endormis en fin de nuit et ils ont été suspendus ou, lorsque l’enquête interne a abouti, ont été licenciés. Le responsable de l’Aviation Civile a raison d’avoir déclaré : “Nous ne pouvons absolument pas tolérer qu’on s’endorme au travail”. Mais intéressons-nous aux causes de l’origine de ces sommeils ?
– Toute veille prolongée de nuit conduit, au petit matin, à un endormissement contre lequel il est impossible de résister… sauf si l’on peut fermer les yeux et s’assoupir quelques instants, ce que connaissent bien tous ceux qui ont été dans ce cas (marins, pilotes, chauffeurs, etc…). Or, l’aviation civile américaine interdit les siestes dans les Tours de contrôle, alors que – toutes les études menées à ce sujet sont unanimes – une sieste autorisée dans des espaces spécialement conçus à cet effet, insonorisés et confortables, mis à la disposition des personnels, améliore grandement leur concentration et leur maintien en état d’éveil.
– Sans la présence d’un deuxième contrôleur, il ne peut y avoir de contrôle réciproque (“cross check”).
Finalement, rassurons-nous : l’Agence américaine de l’aviation civile (FAA) a décidé de remédier au problème en annonçant qu’un second contrôleur serait affecté aux vacations de nuit dans une vingtaine d’aéroports où il n’y en avait jusqu’à présent qu’un seul.
Question : Où en est-on de la “liste noire” ?
Réponse : La Commission européenne vient d’adopter une 17ième mise à jour de la liste des compagnies aériennes interdites d’exploitation dans l’Union Européenne. Certaines (dont quatre transporteurs aériens de l’Indonésie n’effectuant que du transport de fret et un d’Ukraine) ont été retirées de la liste. En revanche, tous les transporteurs aériens certifiés au Mozambique font dorénavant l’objet d’une interdiction d’exploitation, de même que deux aéronefs spécifiques d’Air Madagascar.
Cette nouvelle liste – qui remplace celle de novembre 2010 – est visible :
– en entrant sur le site de NetIris : http://www.net-iris.fr/veille-juridique/actualite/27081/mise-a-jour-de-la-liste-de-noire-descompagnies-aeriennes.php. Dans le texte, cliquer sur “Liste noire” et sur “Jean Belotti” pour les détails.
Question : Un A380 d’Air France a endommagé son aile gauche en percutant un autre avion pendant son roulage à l’aéroport John Fitzgerald Kennedy. Non seulement il y a des accidents en vol, mais aussi au sol ! Qu’en pensez-vous ?
Réponse : L’attrait des médias pour des événements mineurs (aucun blessé et que des dégâts matériels) a conduit à ce que cet incident a fait l’objet d’une publicité mondiale, entraînant une implicite mise en cause de la sécurité aérienne. De plus, présenter une vidéo en mode accéléré est trompeur sur la réalité des faits et ne peut que
contribuer à entretenir une suspicion sur le sérieux du pilote et des agents des tours de contrôle. Les éléments à prendre en compte sont les suivants :
– le nombre d’avions qui circulent sur l’aéroport de JFK est impressionnant. Il m’est arrivé plusieurs fois d’attendre, moteurs au ralenti, plus de 45 minutes avant qu’une place de stationnement me soit affectée ;
– les cheminements au sol sont bien marqués, mais les marges de sécurité sont très faibles ;
– lorsqu’il fait nuit et qu’il pleut – ce qui était le cas ce soir là – les pilotes ralentissent considérablement leur vitesse en approchant de leur parc de stationnement ou en le quittant pour rejoindre la piste de décollage.
– lors du dernier virage pour s’arrêter à l’emplacement qui lui a été affecté, le pilote ne voit pas le bout de ses ailes et il avance en ne quittant pas des yeux le ou les “placeurs”, qui ont une vue de l’environnement. Ce sont eux seuls, qui, munis de deux torches lumineuses, font des gestes précis guidant les actions du pilote : serrer ou desserrer le virage, voir stopper avant le point de stationnement final, en cas de danger.
– de nuit et par forte pluie, accompagnée de reflets sur les vitres, le pilote, ayant reçu l’autorisation de roulage, veille essentiellement à rouler exactement sur la ligne centrale marquée au sol et ne peut surveiller la présence d’obstacles à ses deux bouts d’ailes. Comme l’enquête du NTSB l’a confirmé, l’avion roulait effectivement lentement, bien positionné sur le tracé au sol et la responsabilité du pilote ne pouvait donc qu’être dégagée. Mais cela n’est pas un “scoop” et n’intéresse plus les médias qui, dès le lendemain, sont pris par d’autres événements. J’ajouterai que sur ce même aéroport, il m’est arrivé – bien qu’ayant suivi strictement les instructions du “placeur” – d’accrocher, avec le réacteur extérieur, un camion qui était mal positionné. L’enquête a démontré qu’il manquait le deuxième placeur qui, lui, aurait pu voir que le camion était mal placé et donner l’ordre au pilote de stopper.
En conclusion, les statistiques nous apprennent que les incidents au sol sur la plupart des grands
aéroports restent nombreux. Cela montre que des progrès doivent être faits dans la gestion du trafic au sol sur les aéroports internationaux, souvent congestionnés, à certaines heures de pointe.