Comme tous les mois Jean Belotti répond aux questions des lecteurs
Question : Pouvez-vous nous dire quels sont les coûts des heures de vol des appareils utilisés par les ministres lors de leurs déplacements ?
Réponse : Dans une réponse à une question écrite, le ministre de la Défense a communiqué, pour la première fois le « coût horaire moyen » des appareils de l’armée de l’air, mis à la disposition des plus hautes autorités de l’Etat pour leurs transports. Ces appareils gouvernementaux sont ceux de l’ETEC (Escadron de transport, d’entraînement et de calibrage), basé à Villacoublay. Coûts d’une heure de vol, en 2009 : Airbus A319 : 11 684 i ; Falcon 50 : 5 625 i ; Falcon 900 : 8 921 i ; Falcon 7X : 7 877 i ; Super Puma : 8 783 i.
Question : En février 2010, cinq syndicats de contrôleurs aériens avaient entamé une grève, en pleine période de vacances scolaires. Les contrôleurs aériens sont à nouveau en grève, pénalisant, non seulement des milliers de passagers mais également les compagnies aériennes et toutes les activités périphériques. Pourquoi ne pas faire comme les américains qui, il y a une dizaine d’années, ont licencié tous les contrôleurs en place, aussitôt remplacés par des militaires, puis par de nouveaux contrôleurs nouvellement formés et embauchés avec de nouvelles conditions de travail ?
Réponse : La réponse devant être que brève, sachez que l’essentiel de ce qui concerne la circulation aérienne et les contrôleurs a été traité dans “Les accidents aériens. Pour mieux comprendre” (Chapitre 19, pages 163 à 175 – Editions Couffy – libuniv@aix-provence.com. Voir également mes commentaires dans les chroniques de mars et avril 2010). Si l’on en croit les médias, ces mouvements de grève sont justifiés par deux raisons : la création d’un espace aérien unique européen (appelé FABEC) et l’obligation de pointer, appliquée aux contrôleurs, depuis le 7 juin 2010. Il est fort probable que la création d’un tel espace conduira à une diminution du nombre de contrôleurs français, dont le rendement annuel a été critiqué : environ 30.000 passagers, soit moins de la moitié de celui des américains et moins du tiers de celui des anglais. Cette faible performance proviendrait du fait qu’en France les contrôleurs sont beaucoup plus nombreux que dans les pays cités, mais ce qui peut s’expliquer – à tout le moins partiellement – par le fait qu’aux Etats-Unis, il n’y a qu’un système de contrôle et qu’au Royaume-Uni, la densité du trafic est plus faible que celle du trafic traversant notre territoire national. Cela étant, il convient d’être réservé quant à cette apparente anomalie, étant donné que malgré les différentes critiques émises (faible rendement, salaires élevés, conditions de travail très avantageuses, etc…), le directeur de la DGAC (lors de la Commission du Développement durable et de
l’Aménagement du Territoire à l’Assemblée Nationale le 13 octobre 2009) a déclaré, probablement après prise en compte de leur haut niveau de responsabilité : “ … les contrôleurs rendent un service assez performant quand on considère sa réalité”.
Au sujet des grèves :
- Quelle que soit la nature des revendications, il est anormal que des personnels qui ont une mission de“service public” puissent bloquer l’activité de tout un pays (Aviation, SNCF, RATP, EDF, etc…) avec toutes les conséquences désastreuses pour les utilisateurs et consommateurs, pris en otages, ainsi que pour l’économie du pays.
- La réglementation relative à l’obligation d’un “service minimum” étant une mesure tout à fait partielle et inefficace, il est surprenant que les parties en présence n’aient pas encore pu mettre en place un système de règlement des conflits. (Voir ma chronique “Grèves et transports” de juin 2003 – www.aviation-publications.com). Quant à la deuxième partie de la question, après la prise en compte des faits suivants, il est fort peu probable que la suggestion de remplacer des contrôleurs civils par des contrôleurs militaires soit retenue :
- Aux Etats-Unis, après la décision du Président Reagan de procéder, en 1981, à un licenciement massif des contrôleurs de la navigation aérienne (11.400 sur 16.500), une dégradation constante de la sécurité a été enregistrée. C’est ainsi qu’en 1984, la FAA
(équivalent de notre DGAC) a relevé 589 risques de collision en vol, 777 en 1985 et 828 en 1986…, dont la collision évitée de justesse, en 1998, entre l’avion transportant le président Bill Clinton et deux avions de ligne. - En France, en raison de la grève des services de contrôle de l’aviation civile, le dispositif de remplacement, dit “Clément Marot”, a été mis en place le 24 février 1973. Ce dispositif militaire de remplacement des services civils en grève impliquait, en raison de son caractère d’exception, l’application d’une planification rigoureuse, la limitation de trafic par secteur en fonction des capacités de contrôle et le respect particulièrement strict de la réglementation spéciale du plan des règles de l’air (RAC- 7). Or, cela n’a pas été le cas pour diverses raisons (manque de coordination, contrôleurs militaires non habitués à la gestion du trafic civil, moyens insuffisants, etc…). Il en est résulté une collision en vol entre un Convair 990 et un DC9. Le Convair a pu
se poser à Bordeaux. Le DC9 s’est disloqué en vol et s’est écrasé à la verticale du point d’abordage. Les sept membres de l’équipage et les soixante et un passagers ont trouvé la mort.
Question : En août 2009, vous nous avez rassuré quant au projet de la compagnie “low-cost” Ryanair, de faire voyager les passagers debout, ceci afin de pouvoir embarquer une cinquantaine de passagers en plus ! Or, le projet ne semble ne pas être abandonné puisqu’il vient d’être annoncé que “faire voyager des passagers debout n’était pas farfelu”, étant donné que les passagers du TGV voyagent bien debout sans être protégés et que l’avion est aussi sûr que le train, 99 % des vols n’ayant aucun problème. Que pensez-vous du comportement de cette compagnie ?
Réponse : Il convient tout d’abord de reconnaître que le produit offert par cette compagnie – malgré certaines contraintes – répond à une importante demande, puisqu’elle dessert actuellement 150 aéroports en Europe, avec un trafic passagers annuel de plus de 65 millions. Mais, ce qui est également très important à noter c’est que ladite compagnie n’a eu a déplorer aucun accident ou incident grave, ce qui confirme – à tout le moins jusqu’à ce jour – l’existence d’équipages hautement qualifiés et une très rigoureuse maintenance. Ce résultat, fort sécurisant, contribue également à sa bonne image de marque. Quant à la recherche d’économies (réduction des coûts, maximisation de la recette, développement de synergies, etc…) qui est effectivement une préoccupation constante de tous les entrepreneurs, il n’en reste pas moins que, indépendamment de ses limites fixées par les textes réglementaires, les options envisagées doivent être justifiées. Or, prendre comme référence les passagers du TGV
n’est pas recevable pour les raisons suivantes :
- Le TGV se déplaçant sur une seule dimension, sans gros à-coups, il peut ralentir sa vitesse jusqu’à s’arrêter, alors que l’avion se déplaçant dans trois dimensions, ne peut bien évidemment pas s’arrêter en vol, ni réduire sa vitesse en dessous d’une certaine limite, celle du décrochage.
- Indépendamment de la difficulté de se tenir debout pendant la phase d’accélération du décollage, la position inconfortable pendant la montée, puis la descente, affirmer que 99 % des vols n’ont aucun problème, c’est admettre que sur 1 % des vols – ce qui est énorme – il y aura donc des problèmes. Encore faut-il définir la nature de ces problèmes ! Il s’agit essentiellement des conséquences résultant de la traversée de zones de turbulences – lesquelles peuvent être très sévères, même sur le réseau européen – à savoir : contusions, traumatismes, fractures,… Il en résulte que l’argumentation développée par la compagnie n’est donc pas convaincante, elle n’a aucune chance de faire modifier les textes légaux (nationaux et internationaux) définissant les
règles de sécurité du transport aérien de passagers.
Question : Le patron de Ryanair vient d’envisager la possibilité de supprimer les copilotes à bord des appareils de sa compagnie, estimant que les systèmes de pilotage automatique les rendaient inutiles. Quel est votre avis sur cette proposition ?
Réponse : Au sujet de l’argumentation développée pour justifier cette proposition “qui permettrait à l’ensemble du secteur d’économiser une fortune”, voici quelques éléments de réponse :
1.- Affirmer que les copilotes ne sont plus vraiment indispensables dans les avions modernes, du moins lors des vols courts (Ryanair n’effectuant aucune liaison long-courrier), durant lesquels “c’est l’ordinateur qui fait presque tout le travail” est absurde. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à ma chronique d’avril 2004 “Ici votre Commandant, bienvenue à bord” ( www.aviationpublications.com) ou à “Indispensables pilotes” (Editions SEES – Chapitre 19 “En quoi consiste leur métier”). On notera que la comparaison entre vols courts et vols longs, pour justifier la suppression du copilote sur les vols courts, n’est pas probante. En effet, quel que soit le type de vol, il y a une phase de décollage, de montée, de croisière, de descente, d’approche et d’atterrissage. La seule différence qui existe sur long-courrier est une durée de croisière plus longue. De surcroît, l’argument se retourne contre son auteur, car c’est précisément sur court-courrier, où décollages et atterrissages sont plus nombreux, que la présence d’un équipage complet est indispensable.
2.- Affirmer qu’avec les progrès des systèmes de pilotage automatique, le seul vrai rôle des copilotes est de prendre les commandes en cas de malaise du pilote, laisse penser à un “scoop médiatique”, car on ne peut imaginer qu’un dirigeant de compagnie aérienne ne sache pas :
- que, depuis des années, le principe du “cross check” consistant à une vérification réciproque des actions engagées par les deux pilotes, a été un facteur essentiel de la réduction du nombre d’accidents ;
- que, depuis des années, les équipages suivent des stages réglementaires (CRM “Cockpit Resource Management”) dont le but est d’améliorer la gestion des pannes et les situations exceptionnelles.
- qu’indépendamment du malaise cardiaque, il y a également ce que l’on nomme l’“inhibition partielle”. Dans ce cas, l’erreur, le manque de réaction, naît d’une absence momentanée du pilote, lors de certaines configurations de vol. Par exemple, lors du décollage, le pilote aux commandes, au moment précis où il doit tirer sur le manche pour faire décoller l’avion, oublie de faire. Cela est d’ailleurs restitué sur simulateur pour sensibiliser les pilotes afin qu’ils réagissent instantanément à toute anomalie pendant ce type de phase critique.
3.- Affirmer qu’un steward ou une hôtesse, dûment formé, pourrait très bien se charger de la conduite du vol en cas de malaise cardiaque du pilote est une galéjade et personne ne sera dupe.
Question : Trois cents entreprises européennes ont accusé Air France-KLM et Martinair d’entente sur les prix pratiqués dans le transport de fret. Est-ce une pratique courante ?
Réponse : Effectivement, le groupe néerlandais Philips, le suédois Ericsson et 298 autres entreprises européennes, vont porter cette affaire devant le tribunal d’Amsterdam, en réclamant 500 millions d’i pour réparer les préjudices subis par cette entente. De nombreux cas similaires (d’ententes, de combines, de pratiques déloyales, etc…) sont découverts régulièrement par les différents organismes de contrôle. Mais, ici, il ne s’agit plus d’une action individuelle, mais d’une réaction collective, puisque, pour la toute première fois, les victimes, à travers toute l’Europe, se sont rassemblées pour demander remboursement aux cartels. En fait, pour comprendre ces dérives il faut revenir à la “deregulation” Carter de 1978 (voir Chapitre 40 – “L’avenir du transport aérien” dans “Les accidents aériens pour mieux comprendre”. Editions Couffy – libuniv@aix-provence.com). La traduction de “deregulation” par “déréglementation” a pu laisser croire que le nouveau système du transport aérien étant livré aux lois du marché, il n’y aurait plus de réglementation, donc plus de liberté aux compagnies aériennes pour définir leur stratégie commerciale…. d’où les abus cités. Or, les faits ont démontré le contraire. En effet, le transport aérien, qui croyait être entré dans une phase de “laissé faire” n’a jamais été autant encadré.
Question : J’ai relevé, ci-après, une suite d’accidents survenus depuis la fin juillet :
– Le 28 juillet 2010 Airbus A321-231 (AP-BJB) of Airblue, crash a 14 km NW of Islamabad- Benazir Bhutto International Airport (Pakistan)- 152 morts.
- Le 3 août 2010 Antonov 24 of Katekavia, 0,7 km from Igarka Airport (Russie) – 7 morts
- Le 16 août 2010 Boeing 737-73V (WL) (HK-4682) of AIRES Colombia, San Andres Island- Gustavo Rojas Pinilla Airport (ADZ) – 1 mort et 127 blessés.
- Le 24 août crash d’un Embraer 190 en Chine – 42 morts et 47 blessés.
- Le 25 août crash d’un LET 410 à Bandundu Gabon – 2 morts – Compagnie Filair – Compagnie sur la liste noire des compagnies bannies par l’Union Européenne.
- Le 3 septembre crash d’un Boeing 747 – Cargo du groupe américain UPS (United Parcel Services) à Dubaï – 2 morts.
- Le 4 septembre crash d’un Fletcher FU24 en Nouvelle-Zélande – 9 morts.
La question que le je me pose est de savoir si cette série d’accidents se traduit par une dégradation du niveau de sécurité ?
Réponse : Le niveau de sécurité ne peut pas être apprécié sur une si courte période. (Voir ma chronique de septembre 2005 “Suite d’accidents aériens” (www.aviation-publications.com) et de février 2010 – Accidents de 2009).
Question : La nouvelle fusion de British Airways avec Iberia ne contribuera-t-elle pas a créer une nouvelle situation monopolistique ?
Réponse : Non seulement Bruxelles a dit oui au mariage entre British Airways et Iberia, mais a autorisé également l’alliance transatlantique que les deux compagnies souhaitent nouer avec American Airlines. Le gouvernement américain, lui aussi, a autorisé une alliance renforcée entre British Airways et American Airlines, compagnie à laquelle il a accordé l’immunité anti-trust. Après la fusion, le nouveau groupe, rebaptisé “International Airlines Group” (IAG) serait prêt à acheter une douzaine de compagnies. L’hyper-groupe qui en résultera aura vu le jour grâce au feu vert de Bruxelles qui a précisé que “l’opération n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective dans l’Espace Économique Européen (EEE) ou une partie substantielle de celui-ci”. La consolidation du système du transport aérien est un processus qui s’est accéléré dès la “deregulation” Carter de 1978. Il devrait se poursuivre irrémédiablement et concernera également les compagnies “low-cost” lorsque celles-ci seront prêtes à ouvrir des lignes longcourriers. Il conduit à l’émergence d’hyper-groupes dont le comportement ne manque pas d’intérêt. (Voir mes chronique de juillet 2000 : “Les hyper-groupes aériens” ; d’avril 2008 : “Vers des
monopoles de plus en plus puissants” ( www.aviation-publications.com) et de juin 2010).